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Le retour...

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Après une cure de silence pendant l'été, je suis de retour sur ce blog que vous n'avez pas cessé de consulter...

Pour commencer l'année en beauté, voici le dernier opus dont je suis le co-auteur:

 

Vrais et faux freres.jpg

 

Comme à l'habitude, j'en livre aux lecteurs de ce blog un extrait inédit :

 

I

Les ancêtres

 

Pour s’amuser ou pour s’abreuver d’authentiques légendes….

 

ADAM (4004 av. J.-C.–3074 av. J.-C.)

Si on en croit le père de l’histoire maçonnique, James Anderson, dans les Constitutions de 1723, Adam fut aussi le premier des francs-maçons. Il dut tenir loge au Paradis, avec ses deux fils, Caïn et Abel, pour Surveillants. Cela expliquerait bien des rivalités que l’on observe encore dans les temples maçonniques actuels.

 

ÈVE (juste une côte après Adam…). Les annales de la maçonnerie l’ignorent superbement. Or, si son conjoint a créé une loge avec ses deux fils, on peut supposer, au vu de la population de l’époque, qu’Ève n’est pas restée à l’écart…

 

NOÉ (dix générations après Adam), constructeur de l’Arche, pourrait apparaître comme le premier maître, amphibie et mixte. Du reste, certains grades maçonniques, très appréciés en Grande-Bretagne, le célèbrent et le mettent en scène.

 

SALOMON (xe siècle avant J.-C.)

Roi d’Israël qui édifia le temple de Jérusalem devenu plus tard le symbole fondamental de la franc-maçonnerie, Salomon est le « héros » de nombreuses grandes loges maçonniques et il arrive que, le temps d’une cérémonie, un candidat devienne un peu le roi Salomon… Si l’on considère qu’il eut, selon la Bible, 700 épouses et 300 concubines, on ne comprend pas que la maçonnerie mixte ait suscité tant de réticence depuis cette époque…

 

JÉSUS-CHRIST (début de son ère…)

Charpentier apprenti, né de père discuté, mais fortement reconnu. Il aurait dit : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours. » Sans doute un fort indice de son appartenance maçonnique ….

 

CHARLES MARTEL (690-741)

Tout le monde sait qu’il arrêta les Arabes à Poitiers. On ignore en revanche souvent que, selon les Anciens Devoirs, des textes en usage au Moyen Âge chez les maçons opératifs – ceux qui bâtissaient des cathédrales –, on avançait qu’il avait aussi introduit la franc-maçonnerie en Europe. Le martel qu’il avait en tête ne serait-il pas plutôt un maillet ?

 

Plus sérieusement, c’est maintenant que l’Histoire commence…


Un ouragan maçonnique aux USA ?

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On ne s’en est pas encore rendu compte en Europe, et notamment en France, mais un orage est en train de se lever sur la franc-maçonnerie américaine. La perturbation, dont on ignore encore jusqu’où elle ira, vient de Géorgie – un pays habitué aux cyclones, il est vrai…

Le  9 septembre dernier, le nouveau Grand Maître de la Grande Loge de Géorgie, une obédience qui compte environ 40 000 membres (officiellement) et se situe à un rang enviable parmi les Grandes Loges américaines en termes d'effectifs, a promulgué un « édit » – les Grands Maîtres américains ont ainsi des droits régaliens – qui proscrit formellement l’homosexualité et bannit des rangs de la franc-maçonnerie ceux qui sont coupables de ce « péché » (sin) ! La décision assez ahurissante du Grand Maître n’est cependant pas un coup de folie isolé : elle a été tout récemment confirmée par un vote majoritaire de la Grande Loge et, pour faire bonne mesure, celle-ci a condamné également la « fornication » – ce qui semble vouloir désigner toute forme de sexualité hors mariage !

Bref, la maçonnerie de Géorgie a décidé de vérifier avec qui couchent ses membres et vient de définir le cadre d’une « sexualité maçonnique normale ». On n’arrêtera donc pas le progrès…ni peut-être le déclin d’une maçonnerie qui perd tous les ans environ 4% de ses effectifs et que menace, au terme de quelques décennies, la disparition complète.

« Les esclaves, les femmes et les gens immoraux »

Il faut insister ici sur le fait que la Grande Loge de Géorgie appartient à la communauté maçonnique la plus nombreuse et la plus puissante au monde : celle des Grandes Loges « régulières ». On vient donc d’ajouter un nouvel item à la liste déjà longue des  landmarks  américains : on ne se contente plus de l’exclusion des femmes, on y ajoute désormais l’hétérosexualité obligatoire des hommes.

Or, il se trouve que nombre de francs-maçons américains, conscients de la posture délicate de leur maçonnerie, réagissent avec une vigueur qui enfle chaque jour davantage. Un leader d’opinion respecté en Amérique, Paul Rich, s’active sur les réseaux sociaux pour dénoncer cette aberration d’un autre âge et s’inquiète publiquement des ravages considérables qu’elle pourrait produire sur l’image d’une maçonnerie américaine déjà fort mal en point. Il est rejoint par de nombreux Frères et les échanges de messages électroniques auxquels on assiste sont édifiants. Bref : à l’occasion de cette décision inepte, la maçonnerie des États-Unis se trouve peut-être au bord d’une crise morale majeure…

Car nombreux sont ceux qui pointent, à cette occasion, les « péchés » anciens de cette maçonnerie – et notamment sa longue prohibition des Noirs, contraints de constituer leurs propres Grandes Loges (Constitution de Prince Hall), du reste comparables en tous points aux Grandes Loges « caucasiennes ». Certains ajoutent déjà, quoique timidement encore, que la question des femmes  est finalement de même nature. Les Constitutions d’Anderson – pas si « libérales » que cela, au fond – excluaient déjà les « les esclaves, les femmes, et les gens immoraux », ce qui peut se comprendre – sinon se justifier ! – dans le contexte social et moral de l’époque, mais la Grande Loge de Géorgie reste fermement sur ces principes interprétés à la lettre et, pour éviter toute équivoque, elle désigne à présent l’immoralité suprême : l’homosexualité. Même l’Église catholique, au passé si chargé en ce domaine,  tente d’en sortir – avec beaucoup de difficulté, il est vrai, comme le synode sur la famille l’a récemment montré. Mais cette comparaison es-elle vraiment flatteuse ?

D’autres enfin évoquent déjà les possibles conséquences légales d’une telle position, dans un pays fort attaché aux droits civiques et à la défense du droit des minorités – visibles ou non – garantis par la Constitution des Etats-Unis, un pur produit de l’esprit maçonnique de la fin du XVIIIème siècle !

Une nouvelle affaire Morgan ?

Mais avant d’en arriver là, c’est l’effet global sur le statut de la maçonnerie américaine qui doit être évoqué. Il y a près de deux siècles, en 1826, un événement apparemment banal dans l’Ouest des États-Unis  à cette époque, à savoir le lynchage d’un individu obscur, le meurtre, probablement perpétré par des francs-maçons, de William Morgan, coupable d’avoir révélé leurs secrets, déclencha un gigantesque scandale à l’échelle du pays tout entier et eut pour effet de diviser par dix les effectifs des loges, alors florissantes, en quelques années. Vers 1840, la franc-maçonnerie américaine en sortit enfin, affaiblie mais surtout entièrement transformée, devenue essentiellement caritative et conviviale. C’est de cette mutation qu’elle n’avait pas prévue ni souhaitée que l’institution a tiré, outre-Atlantique, ses traits essentiels jusqu’à nos jours.

Qui peut dire jusqu’où ira la vague de fond qui semble de profiler à l’horizon de la Géorgie ? Peut-on imaginer que la maçonnerie soit la seule à édicter une condamnation sans nuance de l’homosexualité, presque criminalisée par une décision stupéfiante et insensée, n’ayant pour partenaire dans cette discutable posture que quelques états musulmans fondamentalistes disséminés sur la planète – les mêmes qui interdisent aussi férocement la franc-maçonnerie ?

Au passage, que signifient les hautes valeurs humaines dont la maçonnerie « régulière » a fait son drapeau depuis si longtemps, pour ne pas parler des valeurs religieuses qui sont supposées l’inspirer ? A ce sujet, les baptistes de Géorgie – eux-mêmes fondamentalistes et enclins à une lecture brutalement littérale de la Bible – ont promptement approuvé les maçons de leur État, alors que leurs coreligionnaires condamnent si souvent la maçonnerie et les « Illuminati » comme des suppôts du satanisme…

Peut-on ne rien dire ?...

On pourrait dire, pour s’en laver les mains à bon compte, que cela ne nous concerne pas, que c’est de la politique et que la maçonnerie « régulière » n’a pas à se mêler de tout ça – même si elle désapprouve du bout des lèvres, cela va de soi.

Mais est-ce si sûr ?

Peut-on prôner une maçonnerie exemplaire, certains disent même « seule authentique », en gardant des relations avec une Grande Loge qui soutient de telles positions éthiques ?

Certes, les nations européennes n’ont pas de leçon à donner aux autres : en Angleterre, en 1952, on condamna à un horrible traitement hormonal pour homosexualité le légendaire Alan Turing, concepteur de l’informatique moderne, héros de l’ombre pendant la guerre, qui finit par se suicider deux ans plus tard en croquant une pomme préalablement injectée de cyanure, et le temps n’est pas loin non plus où un auteur maçonnique français « régulier », que je préfère ne pas nommer ici, tant par charité chrétienne que par convenance maçonnique, qualifiait les homosexuels « d’anormaux », évidemment interdits dans les loges « régulières » à son avis. Mais tout cela peut-il encore se couvrir du voile d’un silence pudique et gêné ?

La Grande Loge Unie d’Angleterre a mis longtemps, en s’abritant derrière des arguments juridiques assez pauvres, avant de reconnaître les Grandes Loges de Prince Hall. Agira-t-elle encore de même, contre toute raison, en tolérant en Géorgie – où les Noirs ne sont pas les bienvenus dans les loges blanches – ce qui est proprement intolérable d’un simple point de vue humain ?

En France, que les Obédiences « libérales et adogmatiques » saisissent cette occasion pour stigmatiser à peu de frais une maçonnerie concurrente, on le comprend sans peine et c’est presque de bonne guerre, si j’ose dire, mais que doivent dire les maçons réguliers soucieux de respectabilité sociale, de probité morale et de hauteur spirituelle ?

Peuvent-ils demeurer silencieux ? Les temps nouveaux qui se lèvent ne sont-ils pas, pour cette maçonnerie-là surtout, ceux de la parole vraie et du courage intellectuel ? Faut-il encore que la prudence politique l’emporte sur la rectitude de la pensée et l’énergie morale ? Peut-elle, par souci de ne pas faire de vague, ignorer ce que peut avoir de honteux, d’avilissant pour une démarche prétendument fraternelle et humaniste, et surtout si elle renvoie à une transcendance originaire, le parti de ne rien dire – et donc d’approuver tacitement ?

C’est une grave question qui se pose à elle. Peut-elle se permettre de ne pas y répondre ?

L’avenir nous le dira…

 

 

L'An Nouveau !

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Après quelques semaines d'interruption pour des raisons techniques et de "surbooking" - mais qui ne vous pas empêchés, mes statistiques en témoignent, de continuer à consulter les nombreuses notes de ce blog - me voici de retour.

Plusieurs notes sont en préparation et se seront publiées incessamment.

 

J'en profite pour vous signaler deux nouveaux rendez-vous sur le web

 

1.  La page FaceBook  de la LNF : Loge Nationale Française -Officiel

2. Le nouveau blog Latomia Universa - Le blog indépendant de la Maçonnerie traditionnelle Libre

A bientôt !

 

 

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Liberte-Egalité-Fraternité : petite histoire d'une "triple devise" dans la franc-maçonnerie

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Nombre de francs-maçons conçoivent naturellement la triple devise qui ouvre et achève leurs travaux, comme faisant partie intégrante de la culture maçonnique depuis toujours.. Nul doute en effet que l’aspiration dont elle témoigne et qu’elle s’efforce de traduire en quelques mots, ne soit au cœur de l’éthique du maçon. Son ancienneté dans l’Ordre n’est cependant pas aussi grande qu’on l’imagine, et son introduction ne s’est pas faite sans mal.

Pour en retracer la genèse, il faut  se reporter au XVIIIe siècle, avant la Révolution. Les « idées nouvelles » faisaient leur chemin dans la société française, notamment dans les clubs, les cabinets de lecture, et aussi dans les loges, mais pas plus qu’ailleurs. Le désir d’une large part de l’opinion éclairée - l’aristocratie libérale et la bourgeoisie particulièrement, de prendre part aux affaires s’exprime par les thèmes de « la douce égalité » et de la « tendre fraternité » qui fleurit dans tous les discours, notamment dans ceux des loges. Il n’en demeure pas moins que la formulation Liberté-Egalité-Fraternité n’est apparue dans le discours maçonnique q’après avoir été consacrée par la République, et certainement pas avant, comme le prétend une légende vivace.

Si, dès 1789, le marquis de Girardin proclame que la Constitution aura pour base « l’Egalité, la Justice, l’Universelle Fraternité », la proposition alors faite par le Club des Cordeliers d’adopter la triple devise n’est d‘abord pas retenue, et il faut attendre 1793 que les documents officiels de la jeune République s’ornent désormais de la formule « Unité, Indivisibilité de la République – Liberté, Egalité, Fraternité, ou la Mort ». Tout un programme, on en conviendra !

Toutefois, la maçonnerie ne l’adopte qu’ensuite, et on voit la devise apparaître sur la patente d’une loge qui en juin 1793 prend précisément comme titre distinctif « Liberté-Egalité-Fraternité ». Elle reste cependant peu usitée dans les milieux maçonniques, et l’on peut encore citer une mention  dans le Livre d’architecture de la Très Respectable Grande Loge de France qui avait refusé en 1773 la fusion avec le Grand Orient, et disparaîtra à son tour en 1799.

liberte.jpg

Jusqu‘en 1848, plus jamais la triple devise n’est retrouvée dans un document maçonnique !

Le 24 février 1848, le gouvernement provisoire édicte : « Liberté, Égalité, Fraternité pour principes, le peuple pour devise et mot d’ordre ». La loi du 8 septembre officialisera enfin la devise comme celle de République. La Maçonnerie qui,  à Paris, a  pris une part active à la Révolution, envoie le 6 mars une délégation à l’Hôtel de Ville.  Le Frère Bertrand déclare alors :

« Les francs-maçons ont porté de tous temps sur leur bannière les mots : Liberté, Egalité, Fraternité. En les retrouvant sur le drapeau de la France, ils saluent le triomphe de leurs principes et s’applaudissent de pouvoir dire que la patrie tout entière a reçu de vous la consécration maçonnique ». 

Singulière façon d’écrire l’histoire…

Il faut pourtant attendre le convent de 1849 pour que le Grand Orient de France modifie son article Ier en ajoutant cette dernière mention : « La devise [de la franc-maçonnerie] a été de touts temps (sic) : Liberté , Egalité , Fraternité ». Dans le même texte, la Grand Orient proclamait pour la première fois de son histoire que la maçonnerie avait aussi « pour base l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme»…

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Ce n’est qu’en 1869 que la Grande Loge Centrale, fondée en 1822 par le Suprême Conseil de France pour gérer ses loges bleues, demande l’introduction de la devise dans l’Ecossisme  - et la suppression du Grand Architecte de l’Univers. En 1873, le Suprême Conseil accède à la première de ces demandes. Le même esprit et la même devise seront repris la Grande Loge Symbolique Ecossaise fondée en 1880, puis par la Grande Loge de France définitivement constituée dans sa forme actuelle entre 1894 et 1896.

La triple devise était ainsi universellement établie dans la Maçonnerie française. Universelle, généreuse, mais non point maçonnique d’origine, elle demeure du reste une spécificité maçonnique en France seulement.

 

Le (vrai) retour !

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Après quelques mois d’absence – mais de travail intense sur divers projets d’édition –, l’été est propice au retour !

Merci à tous ceux et toutes celles qui m’ont écrit, tout au long de cette période d’abstinence blogueuse, pour me le demander…

Je saisis cette occasion pour vous rappeler les évènements actuels et à venir qui méritent votre attention :

 

  • Tout d’abord, une livraison exceptionnelle de Renaissance Traditionnellequi nous a demandé des mois de travail. Un numéro sans équivalent consacré à l’un des grands mystères de l’histoire maçonnique française : la Grande Profession du Régime Écossais Rectifié. Nous y publions des documents inédits, des études de fond et nous espérons avoir fait, pour longtemps, le tour de ce sujet qui a suscité tant d’interrogations et tant de fantasmes…

 

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  • Je prépare également– et je vous informerai du progrès des choses – deux ouvrages pour les mois qui viennent : Le Roman vrai de la franc-maçonnerie – 30 jours qui ont fait l’histoire de la maçonnerie, en prévision de la célébration du tricentenaire de la Grande Loge de 1717, et une Histoire illustrée du Rite Ecossais Rectifié. Ces deux livres verront le jour chez Dervy entre la fin de cette année et le milieu de l’année 2017.

Je vous laisse prendre connaissance de la nouvelle note, de circonstance, que je mets en ligne, et la prochaine sera consacrée à un sujet tout aussi croustillant :  les « patentes » dans l’histoire de la franc-maçonnerie !

De retour de Cambridge

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Entre le 9 et le 11 septembre devenir s’est tenue, à Cambridge, dans l’enceinte du Queens’ College, la Conférence du Tricentenaire sur l’Histoire de la Franc-maçonnerie, réunie à l’initiative de la Loge londonienne Quatuor Coronati. J’ai eu la chance, avec une poignée de Français, de compter parmi la centaine de personnes qui ont pu assister et prendre part aux travaux de la Conférence.

Rappelons en premier lieu ce qu'est la Loge Quatuor Coronati 2076 : c’est la plus ancienne loge de recherches du monde, fondée en 1884. Or, ce point mérite ici un premier commentaire. Ce qu’on entend par « recherche maçonnique » en Grande-Bretagne, est bien différent de ce que l’on désigne souvent ainsi en France. Il ne s’agit pas de « super-loges » qui proposeraient des « super-planches », présentées par des « super-Frères (?) », à propos de tout et de n’importe quoi – ou presque. Cela désigne exclusivement une approche historique des sources, des origines, des documents fondateurs, des personnages et des évènements qui ont fait la maçonnerie à travers le temps et l’espace. On ne produit pas ici de « jus de crâne » : on tente de retrouver, par une approche objective et documentée, la vérité des origines. Les travaux publiés annuellement dans la prestigieuse revue Ars Quatuor Coronatorum depuis 1886 – le thesaurus de l’érudition maçonnique international – qui a été le modèle suivi par René Désaguliers en fondant en 1970 la revue Renaissance Traditionnelle– en sont l’éloquent témoignage.

La Conférence elle-même réunissait tous les noms les plus prestigieux de la recherche maçonnique anglaise, et la presque totalité des membres de la loge Quatuor Coronati en particulier.

Un coup d’œil au programme vous permettra de juger de la diversité et de l’intérêt des sujets traités:

 

Programme Cambridge 1.png

 

Je voulais juste faire part de quelques impressions.

La première est l’incroyable liberté de ton des chercheurs britanniques au sujet de l’histoire de la maçonnerie: ce que j'ai appelé, dans un de mes livres, leur "tranquille audace". Ici, pas de querelles d’obédiences rivales ou de prééminence d’un Rite qui, sous couvert pseudo-discussions savantes, instrumentalisait l’histoire maçonnique. Mais au contraire, l’histoire traitée de façon académique, sans arrière-pensée, de manière rigoureuse et distanciée. La critique des contributions présentée est également sans complaisance mais aussi sans acrimonie : on ne défend pas ici un « camp » contre l’autre, comme on le voit faire si souvent en France quand « leur historien » est opposé à un « historien à nous », pour reprendre une niaiserie, restée célèbre, d’un dignitaire maçonnique oublié. Je me dis parfois que si la maçonnerie anglaise est perçue en France, du moins par certains, comme "dogmatique", elle est néanmoins, quant au regard qu’elle porte sur sa propre histoire, incommensurablement plus libre et plus audacieuse qu’en France. Ce n’est d’ailleurs pas un constat joyeux pour nous autres Français, si volontiers donneurs de leçons.

En second lieu, plus je fréquente mes amis chercheurs anglais ou écossais – je veux citer ici, par exemple, John Acaster, John Belton et Robert Cooper, trois hommes avec qui j’échange depuis des années et pour qui j’ai un véritable respect – plus je suis convaincu que traiter l’histoire de la maçonnerie en France séparément de ce qu’on fait à ce sujet en Angleterre ou en Écosse est une stupidité.  Entendons-nous bien : je ne veux pas seulement dire qu’il faut tenir compte de l’histoire maçonnique des deux côtés de la Manche, car c’est une évidence, mais cela ne suffit pas : on peut, de chaque côté de la Manche, porter un regard erroné sur l’histoire maçonnique du côté opposé ! Je veux dire précisément qu’il faut encourager les rencontres et les conférences où des chercheurs « libres » des deux bords pourront échanger et confronter leurs points de vue.

Pour cela, il ne faut pas s’enfermer dans un programme qui présuppose les conclusions auxquelles on doit parvenir et, en France du moins, il ne faut pas placer de telles rencontres sous l’égide d’une obédience ou d’un Rite car, quelle que soit la bonne volonté des organisateurs, le biais est pratiquement inévitable. Un tel risque n’existe pratiquement pas en Angleterre…

Voilà pourquoi je rêve d’une Conférence qui, en Grande-Bretagne, réunirait à part égales des chercheurs français, anglais ou écossais en histoire maçonnique, afin de travailler ensemble à la constitution d’une histoire consensuelle des sources de la maçonnerie franco-britannique dans les trois ou quatre premières décennies du XVIIIe siècle. De même, il faut souhaiter que soient écrits des ouvrages conjoints entre des chercheurs français et anglophones. J’espère un jour voir ce vœu s’accomplir et je n’hésiterai pas à y travailler personnellement dans la mesure de mes moyens.

Dans l’immédiat voici quelques photos de cet événement :

 

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Masonic Center - Cambridge

 

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Déjeuner après la tenue des Quatuor Coronati

(la Reine nous regarde...)

 

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L'amphithéâtre des conférences à Queens' College

 

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Voilà où je loge dans le College...

 

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Ma petite chambre d’étudiant à Cambridge !

 

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Apéritif avant le Diner de Gala

 

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A table entre Bob Cooper et John Acaster !

 

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Photo finale avec tous les membres de Quatuor Coronati

 

Un dernier mot. Ces Conférences apportent parfois leur lot de surprises, de « scoops ». La conférence de clôture, présentée par le Pr Andrew Prescott, contenait une révélation de ce genre, assez bouleversante en cette année de célébration d’un tricentenaire : le 24 juin 1717…n’a sans doute jamais eu lieu !

Patience, j’y reviendrai bientôt (cette fois, c’est promis)…

Le « non-événement » de 1717…

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J’ai annoncé, dans un post précédent, que lors de la Conférence du Tricentenaire organisée à Cambridge par la loge Quatuor Coronati de Londres au début du mois de septembre dernier, le Pr Andrew Prescott qui, depuis des années, s’est imposé en Grande Bretagne comme un réviseur parfois très offensif et « décoiffant » de l’historiographie maçonnique admise, avait fait part d’un « scoop » : la fameuse et mythique – le mot devient de plus en plus justifié – assemblée de juin 1717, dans la taverne A l’Oie et le Gril…n’aurait peut-être jamais eu lieu !

Dans l’intervalle de ces deux posts, le blog 357 et plus m’a, en quelque sorte, brulé la politesse, en exposant l’essentiel de l’affaire ! Je ne lui en veux pas du tout, bien au contraire, et je renvoie tout simplement mes lecteurs à ce blog ami et à l’exposé du problème qu’il a très bien résumé. Cela me permet de prendre un autre point de vue pour reconsidérer le sujet en ajoutant quelques détails…

Un doute ancien

En premier lieu, si j’ai employé le mot « scoop », c’est un peu par dérision, et parce cela constituera sans aucun doute une réelle surprise pour nombre de maçons à qui l’on a enseigné depuis presque trois siècles que la « première Grande Loge de toutes les Grandes Loges du monde » avait été fondée le 24 juin 1717 ! Pourtant, le doute sur les circonstances de cette fondation est déjà ancien…

Celles ou ceux qui m’ont fait le plaisir et l’amitié d’assister, depuis des années, aux tenues de la loge d’études et de recherches William Preston (Loge Nationale Française) ou de la loge d’études et de recherches Elizabeth St Leger (Loge Nationale Mixte Française), ont souvent entendu exposer les faits curieux qui ont conduit nombre de chercheurs – dont je suis, modestement – à s’interroger sur la réalité de cet événement réputé fondateur. Je résume les points majeurs qui fondent ce doute :

  • Dans l’édition de 1723 de ses Constitutions, Anderson, dans la partie historique, lorsqu’il aborde la période 1717-1723 (pp. 47-18), fait mention de l’avènement de George Ier et conclut rapidement à la renaissance des loges de Londres à la convocation d’une « Grande Assemblée annuelle », mais il ne mentionne expressément que « notre présent Grand Maitre, le très noble Prince, John, Duc de Montague », sans citer aucun de ses prédécesseurs éventuels, et ne signale surtout en aucun endroit une assemblée ayant eu lieu en juin 1717, ce qui est pour le moins surprenant ;
  • C’est seulement dans l’édition de 1738 qu’il expose en détail (pp. 109-116) les minutes des assemblées supposées de la Grande Loge entre 1717 et 1723 – sur ces assemblées, son témoignage est unique et se réfère à des évènements alors vieux d’une vingtaine d’années, auxquels il n’avait lui-même pas assisté ;
  • Le livre des procès-verbaux de la Grande Loge de Londres et de Westminster ne commence qu’en novembre 1723. Il ne porte aucune indication qu’il s’agirait d’un « deuxième volume », et l’on ne dispose donc, pour attester l’existence d’une Grande Loge, d’aucun procès-verbal entre 1717 et 1723. Aucune explication satisfaisante n’a jamais été apportée à ce fait [1];
  • En 1721, alors que la Grande Loge est supposée exister depuis quatre ans, lorsque William Stukeley, érudit archéologue anglais, ami de Newton, est initié à Londres, il rapporte dans son Journal qu’« il avait été la première personne à être initiée à Londres depuis de nombreuses années (!) et qu’il avait été très difficile de trouver un nombre suffisant de personnes pour réaliser la cérémonie. » Il ajoute cependant qu’à partir de cette époque (1721), « la franc-maçonnerie prit son essor et se développa à un rythme effréné en raison de la folie de ses membres… » Cela ne témoigne guère d’une grande vitalité de la maçonnerie à Londres, mais Stukeley nous signale bien l’année 1721 comme un tournant. Or, si quatre loges sont supposées avoir formé la Grande Loge en 1717 (Anderson parle de six loges en 1716), deux dans plus tard, quand s’ouvre le livre des procès-verbaux de la Grande Loge, on recense déjà une cinquantaine de loges. On ignore donc ce qui s’est passé entre 1717 et 1721 mais on doit sérieusement s’interroger sur ce qui s’est passé entre 1721 et 1723 : c’est en fait la question la plus intéressante.

 

Goose and Gridrion.jpg

Un lieu aujourd'hui disparu...et légendaire ?

 

L’intérêt de la conférence d’Andrew Prescott est notamment d’apporter un élément supplémentaire, qui avait d’ailleurs déjà été exposé par lui lors de la Conférence Sankey de 2016 (Searching for the Apple Tree Tavern :What happened in 1716 ?).

Dans le récit que fait Anderson, en 1738, de la réunion du 24 juin 1717, ce dernier précise en effet, ce que l’on omet souvent, qu’une réunion en quelque sorte préparatoire aurait eu lieu l’année précédente, en 1716, à la taverne du Pommier– Antony Sayer, traditionnellement présenté comme le premier Grand Maître élu en 1717, ayant été lui-même membre de la loge qui s’y réunissait. Or, pour le dire en quelques mots, selon les recherches menées par Prescott, il apparaît simplement qu’à la date envisagée, soit en 1716, la taverne du Pommier (anciennement connue comme lieu de prostitution !) …n’existait plus ! Du reste, en 1723, Sayer est présenté comme membre d’une loge se réunissant à la taverne La tête de la Reine(Queen’s Head), à Knaves Acre.

Il faut enfin rappeler quelques faits, également familiers aux visiteurs de William Preston et d’ElizabethSt Leger : le personnage d’Antony Sayer est plus qu’énigmatique. On pense qu’il fut libraire mais on note surtout que si George Payne, réputé avoir été Grand Maître en 1718 puis de nouveau en 1720, continua à jouer un rôle majeur dans les débats de la Grande Loge – ses procès-verbaux en attestent depuis 1723 – jusqu’à sa mort vers 1757 (il supervisera même la troisième édition des Constitutions en 1756), et si Désaguliers, présenté comme Grand Maître en 1719, fut ensuite plusieurs fois Député-Grand Maître (en 1722, 1723, et 1725) et prit une part active aux débats de la Grande Loge au moins jusqu’en 1737 (sa santé déclina beaucoup par la suite et il mourut en 1744), Sayer en revanche, après sa grande maîtrise alléguée de 1717-1718, semble tout bonnement sortir de l’histoire…pour ne réapparaître dans les procès-verbaux de la Grande Loge qu’en juin 1724, puis en 1730 et 1742. Et les circonstances de cette réapparition sont assez intrigantes.

A trois reprises il fait appel à l’entraide, étant à bout de ressources, et on lui accorde au moins deux secours de 15£ puis de 2 guinées. Le 15 décembre 1730 il est en revanche cité à comparaitre pour une sévère réprimande en raison de ce qu’il aurait fait de « très irrégulier » – mais on ne sait au juste de quoi il pouvait s’agir. Toujours est-il que Sayer fit acte de contrition et jura de ne plus recommencer.

Notons enfin qu’il n’est fait mention de son ancienne dignité de Grand Maître pour la première fois qu’en 1730, mais pas en 1724. La liste « officielle » des Grands Maîtres depuis la « fondation » de 1717 semble donc avoir été fixée entre ces deux dates. Il n’en demeure pas moins que si, en 1737 encore, les procès-verbaux mentionnent la présence, en assemblée de Grande Loge, de George Payne et de Désaguliers, tous deux qualifiés de « Passés Grands Maitres », on ne retrouve jamais Antony Sayer dans cette situation : depuis 1733, il n’était que l’humble tuileur appointé par la loge Old King’s Arms. Manifestement, il y avait plusieurs catégories « d’anciens » Grands Maîtres…

Pour résumer, Sayer fut le très obscur Grand Maître d’une assemblée dont il ne subsiste aucun témoignage de première main, prétendument préparée un an plus tôt dans une taverne qui alors n’existait plus, et il semble qu’on l’ait ensuite complétement oublié jusque vers 1730, quand un rôle de fondateur lui fut subitement attribué – après que la Grande Loge lui eut accordé plusieurs secours pour son impécuniosité et l’eut réprimandé pour sa conduite « très irrégulière » …

 

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Les tables de la Loi....et les sources du mythe !

 

 

Genèse d’une légende

Comment concilier tous ces faits en une théorie cohérente ? Quelle signification donner à ce qui pourrait apparaitre comme l’une des premières mystifications de l’histoire maçonnique ?

D’abord sur les circonstances de constitution de la légende, Prescott fournit des hypothèses de travail intéressantes : il rapproche les détails, rapportés plus haut, concernant les démêlés de Sayer avec la Grande Loge, de la nécessité pour une Grande Loge – dont les premières attestations ne sont certaines qu’à partir de 1721 avec l’élection du prestigieux et richissime Duc de Montagu, car il en est alors fait mention dans la presse londonienne – de se faire adopter par le « petit peuple des loges ». Au passage, Prescott, après d’autres, souligne à nouveau le caractère politique de cette fondation, les cadres de la Grande Loge étant tous issus de l’aristocratie et de l’administration hanovriennes. Sur ce dernier point, je me permettrai de citer ici un passage de mon Invention de la franc-maçonnerie (Véga, 2008, pp. 275-276) :

Après un XVIe siècle ensanglanté par les querelles politico-religieuses, d’Élisabeth à Marie Tudor, les années de guerre civile entre le règne tragique de Charles Ier et le Commonwealth autoritaire de Cromwell, la Glorieuse Révolution de 1688 avait mis un terme à la dynastie Stuart au profit de celle de Hanovre. Une autre guerre commençait, celles des Prétendants, que seule la défaite finale de Culloden achèvera en 1746. En septembre 1715, le roi George Ier avait toutefois enregistré une nette victoire sur la Rébellion conduite par Jacques Édouard Stuart qui dut s’exiler en Italie. Un processus d’établissement pacifique de la nouvelle dynastie, prête à des accommodements avec le Parlement, pouvait dès lors s’engager. C’était aussi la condition d’une prospérité économique à laquelle tous les Anglais aspiraient. Dans ce climat bien particulier, la Grande Loge apparaît comme un lieu où pouvait à la fois s’accomplir la réconciliation des élites et du peuple – notamment par une bienfaisance active – et s’affirmer la volonté commune de donner à l’Angleterre une paix civile durable. N’est-il pas remarquable qu’un an environ après l’apaisement des derniers troubles, une Grande Loge se crée – l’année où, peut-être, Désaguliers aurait été initié – et qu’on trouve dans les Constitutions de 1723, au Titre II des Obligations (« Du Magistrat civil suprême et subordonné »), la mention suivante : « Le maçon est un paisible sujet vis-à-vis des pouvoirs civils en quelque endroit qu’il réside ou travaille et ne doit jamais se mêler aux complots et conspirations contre la paix et le bien-être de la Nation [...] C’est pourquoi si un frère devient rebelle à l’État, il ne doit pas être soutenu dans sa rébellion quelle que soit la pitié qu’il puisse inspirer [...] »

La jeune Grande Loge aurait-elle été vue par certains comme un instrument d’intégration sociale de l’Angleterre nouvelle ? Du reste, l’implication personnelle de Désaguliers auprès de la Cour hanovrienne ne permet pas de dissocier son ascension fulgurante du contexte dynastique. Quoiqu’on puisse en penser, la maçonnerie moderne naît alors même que s’établit dans une grande monarchie européenne un pouvoir parlementaire fondé sur le libéralisme politique et la tolérance. Les circonstances politiques de son apparition pèseront lourd sur son histoire ultérieure.

L’hypothèse de Prescott est ici que pour assurer cette jonction avec le peuple, on aurait eu l’idée de trouver un Grand Maître issu de ses rangs, à une époque réputée fondatrice. Antony Sayer, doublement débiteur de la Grande Loge – à la fois pour les largesses et pour la mansuétude qu’elle lui avait témoignées –, pouvait représenter, par ses origines et son statut social, un candidat idéal. Le conte, sans doute fixé avant 1730 et rédigé en 1738 par Anderson, en serait l’aboutissement. Sayer, qui mourut dans un relatif dénuement en 1742, n’avait alors aucune raison de contester une thèse aussi généreuse à son égard – et surtout aucun intérêt à le faire…

 

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Antony Sayer : un héros malgré lui ?

 

 

L’instrumentalisation de l’histoire : une vieille histoire toujours actuelle…

Faut-il donc brûler une idole et renier la fondation de 1717 ? La réponse est en fait plus compliquée qu’il n’y parait.

En premier lieu parce que toute fondation est entourée d’une aura d’incertitude. Quant à sa date, au premier chef. En effet, quelle date de naissance exacte assigner à la création d’une structure, quelle qu’elle soit : le jour où son « assemblée générale » s’est réunie, celui où elle fut constituée officiellement, celui où ses statuts furent enregistrés par l’autorité publique, ou encore celui où, pour la première fois, un petit groupe de futurs fondateurs y songea ? [2]Il demeure acquis que l'on devait compter des maçons et quelques loges à Londres avant 1717 - mais sans doute très peu et dans un état presque terminal. On ne peut rien dire de précis à leur sujet.

Ensuite, il y a la question du sens que l’on veut donner à une institution. Le souci, clairement apparent dans les récits d’Anderson, de donner à la Grande Loge une grande ancienneté – affirmant même qu’elle remontait au Paradis terrestre ! – a pu se décliner de différentes manières. La nécessité aussi de l’incarner dans le contexte social et politique tourmenté de l’Angleterre des années 1680 à 1720 a sans doute joué un rôle essentiel. Désaguliers et ses amis n’ont certainement pas pensé à fonder une « organisation initiatique et traditionnelle », mais ont réactivé en la transformant de fond en comble une société populaire anciennement de métier, devenue avant tout une société d’entraide mutuelle, et lui ont accordé des moyens financiers sans précédent, grâce à l’arrivée providentielle d’un Grand Maître richissime, tout en exigeant de ses membres de se conformer, en contrepartie, au nouvel ordre politique et de cultiver la tolérance interreligieuse qui avait donné au pays la paix civile tant désirée.

La fiction de 1717 – car il faut désormais s’accoutumer à l’idée que c’en est probablement une – s’inscrit dans cette préoccupation. Elle ne relève pas d’une volonté cynique de tromper, mais d’un désir sincère d’assigner symboliquement à une fraternité désormais gouvernée par l’élite sociale, une source populaire et fraternelle. Sayer fut, en quelque sorte, l’un des premiers « symboles maçonniques » …

On doit aussi apprécier à la lumière de ces conceptions nouvelles le jugement qui est parfois porté, pour des raisons également politiques – mais il s’agit cette fois de politique maçonnique – sur la fondation de 1717. Ainsi, on entend dire, dans certains milieux maçonniques français, que cela ne concerne pas tous les maçons, que la maçonnerie dont ils se réclament est « bien antérieure à 1717 ». La belle affaire…

Toute la maçonnerie spéculative, –  faut-il encore le répéter ? –, est bien antérieure à 1717, il suffit de parcourir quelques bons livres pour s’en convaincre, et les érudits maçonniques anglais, les premiers, l’ont abondamment documenté depuis plus d’un siècle ! La question n’est évidemment pas là. Ce qui est célébré à travers l’évènement de 1717, c’est la création de la première Grande Loge de toutes les Grandes Loges du monde (privilège d’ancienneté qui n’entraine aucun autre droit, au demeurant) : le fait demeure vrai, même s’il ne s’est sans doute produit que quatre ans plus tard.

Que veut-on dire encore ? Que la maçonnerie « hanovrienne », celle de la Grande Loge de 1717, serait d’une nature très profondément différente de la maçonnerie « jacobite » ? Increvable serpent de mer d’une historiographie maçonnique douteuse et dont les preuves sont très maigres. Eh bien, qu’on le documente ! Qu’on exhibe, par exemple, un rituel « jacobite » des années 1715-1745, qui serait substantiellement différent du rituel « hanovrien » de la Grande Loge. Ce serait, pour le coup, un véritable scoop. Disons-le tout, net : cela n’existe pas – ce n’est pas ici une légende, mais une contre-vérité, ou du moins une regrettable illusion.

1717 est simplement le mythe historiographique, forgé pour « le bon motif », qui a modelé pour jamais l’organisation de toute la franc-maçonnerie travers le monde. C’est est un repère symbolique de l’histoire maçonnique et, en tant que tel, il sera célébré dans le monde entier. Que la France – « Fille ainée de la maçonnerie », comme j’aime à l’appeler –  puisse être le seul pays où cela ne se produirait pas relèverait donc de l’absurdité pure et simple.

Ou pire : du révisionnisme historique en maçonnerie. Une déviance qui a encore de beaux jours devant elle…

 

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[1] Je ne reviendrai pas ici les débats pénibles et inutiles survenus en 2003, à l’occasion de la célébration du 275eme anniversaire de la maçonnerie en France, à propos de la date de 1728 – depuis lors réutilisée à tort et à travers par pratiquement tout le monde…

[2] D’où les libertés que j’ai prises avec l’histoire dans Les mystères de Channel Row (Lattès, 2008), récit romancé des débuts de la Grande Loge, quand j’imagine que le premier livre des procès-verbaux – qui n’a donc sans doute jamais existé – avait été dérobé par un célèbre bandit de Londres, Jonathan Wild !

Le mythe de la patente maçonnique

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Un des sujets les plus fréquents de querelles et de désordres, dans la maçonnerie française notamment, est la question des patentes. On a vu, nombre de fois, des Obédiences ou des Juridictions de hauts grades nouvellement crées – par scission ou par « essaimage » – à l'initiative de membres « régulièrement » initiés aux grades divers que ces structures entendaient désormais contrôler de façon indépendante, aller à la recherche, souvent pénible et mouvementée, de la « patente » qui seule, selon elles – et plus encore selon les autres ! – pourraient légitimer leurs travaux.

Le sujet n’est pas nouveau et a entrainé quelques-uns des épisodes les plus pittoresques – mais parfois aussi les plus navrants – de l’histoire maçonnique dans notre pays. Un rapide survol historique permet cependant de l’éclairer d’un jour nouveau. Je voudrais donner ici quelques indications que je me réserve développer d’une façon bien plus considérable dans un livre à paraitre d’ici trois ou quatre ans.

Qu’est-ce qu’une patente ?

D’où vient cette idée qu’un document, « dénommé « patente » – Warrant, en anglais – est indispensable pour que les travaux maçonniques soient parfaitement indiscutables, du moins en droit, sinon en fait ?

Il faudrait ici refaire toute l’histoire de la notion juridique de patente, car c’est de là que tout vient.

Dans le droit ancien, une lettre patente (angl. Letters patent) était un acte public (lat. patere : « être ouvert ») par lequel le roi conférait à ce qui dépendait de son autorité, un droit, un statut ou un privilège. Ce document s’opposait à la Letter closed ou en français la lettre de cachet (car cachetée !) qui ne s’adressait qu’à son destinataire – et pas nécessairement pour le mettre en prison !

On l’aura compris, la patente est un instrument juridique par lequel une autorité civile permet à une personne, un groupe de personnes ou une institution d’exercer une certaine activité, le bénéficiaire reconnaissant en revanche la suprématie du patente – et admettant, le cas échéant, qu’il puisse en décider le retrait : on le voit, ce n’est pas autre chose, en définitive, qu’une procédure de soumission politique…

La patente en maçonnerie

Quand la patente a-t-elle fait son apparition en maçonnerie ? Là encore, comme en de nombreux autres domaines, c’est en Angleterre que tout a commencé.

Lorsque, à partir de 1721 et l’arrivée du premier Grand Maître noble de la Grande Loge de Londres, John, 2e Duc de Montagu, les loges furent chapeautés par un haut aristocrate, la Grande Loge, soucieuse d’asseoir son autorité, qui reposait sur des fondements traditionnels pour le moins assez faibles, inventa tout à la fois la notion de « régularité » - qui signifiait alors simplement : « relever d’une autorité connue dont on suit les règlements » – et la patente qui en était la manifestation officielle.[1]

Les mêmes usages seront suivis en France dès la Grande Loge commencera, bien plus tardivement, et avec difficulté, à imposer son autorité sur les loges du royaume.

Dans tous les cas, le point le plus intéressant était que -  la délivrance des patentes donnait lieu au paiement d’un droit de chancellerie…

De nos jours, tous les loges anglaise sont pourvues de patentes…sauf celles qui dérivent des quatre loges réputées fondatrices en 1717 (il n’en subsiste d’ailleurs que trois), lesquelles sont dite…time immemorial (« de temps immémorial » !)

 

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Les Constitutions : naissance de l'autorité maçonnique

 

La saga des fausses patentes et des documents fondateurs apocryphes

On pourrait écrire un véritable roman sur les patentes dont se sont parés les fondateurs d’obédiences ou de Rites pour tenter d’établir – souvent contre toute évidence – qu’ils n’avaient rien inventé mais ne faisaient que transmettre « pure et dans tâche », ou de « réveiller » une tradition ancienne dont ils avaient « régulièrement » reçu le dépôt, ce dont témoignait justement la « patente », c’est-à-dire la « preuve publique » qu’ils exhibaient.

Après tout, l’exemple venait de haut et de loin : c’est sur ces bases que fut constituée en 1717 (ou plus exactement vers 1721, en prétendant remonter à 1717) la Grande Loge de Londres ! Selon Anderson, en effet, elle avait été seulement « réveillée », ses Constitutions – entièrement refondues et dotées d’un plan et, surtout, d’un contenu entièrement nouveaux en 1723 – n’étant que le dernier maillon de la longue chaine des Anciens Devoirs (Old Charges), dont l’origine se perdait dans la nuit des temps – Georges Payne, réputé avoir été Grand Maître en 1720, n’avait-il pas montré le Ms Cooke, que l’on date de 1420 environ ? Cela ne valait-il pas « dépôt de fondation » ?

Suit alors la longue liste des documents qui ultérieurement –  alors que tous sont tous des faux manifestes et parfois éhontés, ou simplement des documents grossièrement antidatés – ont servi de base et de justification d’origine à des institutions ou des Rites aujourd’hui vénérables – et qui veillent jalousement à ce que l’on ne fasse rien sans une patente délivrée par elles !

Voici, pour en donner quelque idée, une liste non exhaustive :

La patente Gerbier, réputée de 1721, apparue en 1785, est un faux évident comme le pensait déjà Thory au début du XIXe siècle, mais le Chapitre du Dr Gerbier qui se fondait sur cette prétendue patente n’en fut pas moins co-fondateur du Grand Chapitre Général du Grand Orient de France !

La patente de Martinès de Pasqually, datée de 1738, supposée attribuée par Charles Stuard, et qu’il exhiba très tôt dans sa carrière pour se faire ouvrir les portes des loges et imposer son Rite, qui devait influence le RER, est d’une invraisemblance absolue tant par sa forme que par son contenu.

La patente Morin (1761) a bien existé mais les pouvoirs quelle attribuait à son bénéficiaire furent révoqués cinq ans plus tard par l’autorité qui l’avait émise – ce qui n’empêche pas qu’elle soit l’un des documents fondateurs de ce qui devait devenir, après des aventures improbables, le REAA.

Les Grandes Constitutions, dites de 1786, absurdement attribuées à Frédéric de Prusse, texte de référence de l’autorité du REAA, est un faux grossier inspiré d’un texte émanant de la Grande Loge de France en 1763, outrageusement plagié.

 

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Frédéric II

Auteur présumé de Grandes Constitutions dont l'essentiel avait été rédigé par la première Grande Loge de France une vingtaine d'années plus tôt.

Le texte confond en outre manifestement le Saint Empire et la Prusse...

 

L’aventure se poursuit à l’époque contemporaine. Ainsi, nos amis anglais, si exigeants en matière de « régularité, » – c’est-à-dire de conformité aux règles qui sont les leurs, et à nulle autre – n’ont cessé de créer purement et simplement de nouveaux systèmes de Side Degrees- que nous nommons hauts grades en France –, au XXe siècle encore. Pour ne citer que quelques remarquables, L’Ordre auguste de la Lumière, créé en 1902, L’Ordre maçonnique des Précepteurs Pélerins en 1984, L’Ordre commémoratif de St Thomas d’Acre en 1998 et L’Ordre maçonnique d’Athelstan en 2005.

Si ces créations sont clairement des élaborations contemporaines – au demeurant très intéressantes et très intelligemment construites –, et sont par conséquent dépourvues de « patentes immémoriales», leurs auteurs ont néanmoins senti le besoin de se réclamer, eux aussi, d’un « document fondateur », même de façon très floue et très indirecte, par exemple en mentionnant de « vieilles archives » dont ils auraient fait la découverte providentielle !

Ces organisations n’en ont pas moins été reconnues par la GLUA comme d’authentiques « Masonic Bodies » – car dans ce pays, c’est elle qui donne aux Juridictions le droit d’exister « régulièrement » – et, par exemple, l’on compte à ce jour environ 5000 membres dans les « Cours » (Courts) de l’Ordre d’Athelstan…

La patente maçonnique de nos jours en France

La patente, en France, disons-le sans détour, est le plus souvent devenu un instrument de gestion de l’influence politique et de la puissance affichée d’une obédience ou d’une juridiction sur toutes les autres.

Pourtant, outre toutes les considérations historiques rappelées ci-dessus, et qui relativisent beaucoup la notion de patente en maçonnerie, certains cas aboutissent simplement à des absurdités : par exemple, lorsque l’on demande – comme on l’a fait auprès de moi à plusieurs reprises, dans les diverses responsabilités maçonniques que j’exerce ou ai exercées – une « patente Emulation » ! Mesure-t-on à quel point une telle demande est grotesque ? En premier lieu parce que, en toute rigueur, seule la loge Emulation de Londres pourrait le faire…ensuite et surtout parce qu’elle-même ne l’a jamais fait ! Elle attribue un « label », en quelque sorte, reconnaissant que telle ou telle loge suit le rituel défini par elle, mais si quelque loge que ce soit, au sein de la GLUA, décide de travailler « Emulation with some alterations » ou tout autre Working, elle recevra bien sûr une patente de la GLUA pour travailler les Craft Degrees (les trois grades du Métier) sous son autorité, mais certainement pas la patente d’un Rite – ce qu’Emulation n’est absolument pas, au sens français du mot « Rite ». Dès lors, de quel droit, en France une autorité maçonnique quelconque attribuerait-elle une « patente Emulation » ?

Mais allons plus loin. Lorsque René Guilly-Désaguliers et ses compagnons de route, en 1968, ont créé la LNF en y rétablissant selon les formes du XVIIIe siècle, Le Rite Français Traditionnel (RFT) ; a-t-il éprouvé le besoin de demander une patente au GODF – lequel ne l’aurait sans doute pas accordée à cette époque, surtout pour une forme du Rite Français qu’il ne pratiquait plus depuis fort longtemps et qui allait alors à l’encontre de ses principes et de ses pratiques les mieux établies ? Fallait-il, dès lors, que les Frères de la LNF s’interdisent cette heureuse refondation ?

On pourrait enfin élargir la remarque à tous les Rites : si des Frères – ou des Sœurs, évidemment –, ayant été reçus à un ou plusieurs grades d’un Rite, constatant que, pour des raisons diverses, ils ou elles ne peuvent plus les pratiquer dans le cadre d’une Obédience ou d’une Juridiction donnée, décident de s’en affranchir et de refonder une structure nouvelle, plus conforme selon eux – à tort ou à raison – aux définitions d’origine, doivent-ils se l’interdire parce que personne ne leur donnera de patente ? C’est alors admettre que tout détenteur d’une patente « reconnue » –  mais par qui ? – dont les origines lointaines sont elles-mêmes le plus souvent infiniment douteuses ou obscures, peut décider que désormais il faudra en passer par lui pour en obtenir une à l’avenir ! On voit rapidement à quelles conséquences absurdes ce raisonnement nous conduit…

Je mets de côté certains aventuriers maçonniques contemporains –  qu’en droit commun on nommerait des escrocs – prétendant vendre à bon prix des patentes « indiscutables », mais quand une Juridiction bien établie exige, pour reconnaitre une structure maçonnique nouvelle désireuse de pratiquer un Rite qu’elle prétend détenir, qu’elle obtienne une patente d’elle et stipule que le nouveau titulaire sera lui-même incapable d’en accorder à d’autres, cela n’a plus aucun rapport avec la « régularité initiatique » et relève simplement de volonté de puissance et de l’arrogance politique.

J’entends immédiatement l’argument que l’on peut opposer à cette vision des choses : « Mais alors, désormais, tout le monde peut faire n’importe quoi et le transmettre à n’importe qui, sans patente ?! »

On peut à cela répondre plusieurs choses :

En premier lieu, et pour commencer avec un sourire, quand on porte un regard un peu distancié sur les mœurs et les péripéties du paysage maçonnique français, on se demander souvent si l’on ne fait pas déjà un peu n’importe quoi…sous couvert et à l’abri d’innombrables patentes !

Ensuite, et plus sérieusement, ce n’est pas ce que j’ai dit, mais je maintiens que d’un point de vue traditionnel – au sens presque guénonien du terme, une fois n’est pas coutume chez moi ! –  un groupe de Frères et de Sœurs ayant été reçus à un grade donné dans des structures généralement considérées comme historiquement fondées à le leur communiquer, sont légitimes à la transmettre à leur tour, avec ou sans patente.

Et si demain ils décident de fonder un nouveau Rite et de créer de nouveaux grades – comme on l’a fait, notamment en France, tout au long du XVIIIe siècle et comme le font depuis toujours et de nos jours encore les Anglais ! – on pourra les reconnaitre ou non, admettre leur existence ou non, mais on n’aura pas à exiger d’eux la possession de la moindre patente pour légitimer leur action – ni même à leur en demander une pour reprendre leur création si on le souhaite (à moins qu’ils ne l’aient déposée à l’INPI !).

Enfin, la liberté n’exclut évidemment ni la rigueur ni la raison. Ce n’est pas parce qu’on peut tout faire que l’on doit tout faire. Il faut toujours s’efforcer de faire preuve de discernement et de bon sens dans toutes ses actions : ce sont malheureusement des qualités souvent en défaut dans la maçonnerie.

La patente a été introduite dans l’univers maçonnique pour tenter de contrôler les actions des uns et des autres. La détention d’une patente, en ce domaine, n’offre cependant que de faibles garanties, mais elle n’avait en tout cas pas d’autre objet. Si on la considère, en revanche, comme un critère d’authenticité traditionnelle, de « légitimité spirituelle » à pratiquer tel ou tel grade de la maçonnerie, alors on se trompe de sujet et l’on fait entièrement fausse route.

Tous ceux qui, souvent avec génie, ont créé, entre 1725 et 1760, au-dessus de ceux d’apprenti et de compagnon, l’essentiel des grades qui composent notre univers maçonnique, l’ont fait sans autorisation ni patente. Leur œuvre est le patrimoine commun et l’héritage indivis de tous les francs-maçons de bonne volonté, même si certains jugent utiles de s’auto-attribuer des patentes de légitimité exclusive.

Ce qui garantit la pratique la plus juste de la franc-maçonnerie, ce ne sont pas les patentes. C’est la sincérité, l’esprit de vérité, l’humilité, le travail persévérant et l’étude attentive et sérieuse de l’immense et passionnant patrimoine symbolique et rituel accumulé par les francs-maçons depuis trois siècles.

« C’est par mes œuvres que je montrerai ma foi. » Jacques,2, 18.

Tout un programme…

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[1] J’ai développé ce sujet dans Régularité et reconnaissance – Histoire et postures, Editions Conform, 2014.


En parcourant The Square

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La lecture du magazine maçonnique bimensuel The Square est un exercice auquel devraient se livrer régulièrement – qu’ils soient « réguliers » ou non ! – les francs-maçons français qui souhaitent mieux comprendre la franc-maçonnerie, sortir du cadre intellectuel de la seule maçonnerie française qu’ils connaissent, toucher des yeux sinon des doigts – si j’ose ainsi m’exprimer – la réalité internationale d’une « Fraternité universelle », comme ils se plaisent souvent à le répéter d’un air grave mais qui, pour l’immense majorité d’entre eux, se réduit à leurs tenues bimensuelles, à de rares visites dans d’autres loges de leur Obédience le plus souvent, voire à la participation à un « Congrès régional » ou même au « Convent » – deux types d’événements qui ne nous apprennent jamais grand-chose d’intéressant sur la maçonnerie…

Pour ma part, je lis attentivement The Square– qui s’intitulait jadis Masonic Square– depuis plus de trente ans, et j’y ai appris beaucoup de choses intéressantes ou curieuses. D’une part en tant que maçon français qui peut relativiser son savoir et sa vision maçonnique, mais aussi sur la maçonnerie anglaise, réputée immuable selon beaucoup de gens et que j’ai vu bouger de plus en plus nettement depuis des années. Je précise que The Square est un magazine de grande qualité, complètement indépendant de la Grande Loge Unie d’Angleterre. Le dernier numéro disponible, paru en septembre 2016, en apporte une preuve nouvelle. J’y ai relevé deux articles publiés à la suite l’un de l’autre – sans doute par hasard – qui résument parfaitement tous les malentendus qui existent entre la maçonnerie française et la maçonnerie britannique.

Une visite décevante

Le premier article dont je souhaiterais parler est celui de Bob Mellor, consacré à l’exposition qui s’est tenue au milieu de l’année à la Bibliothèque nationale de France (BnF). Notre ami anglais l’a visitée et en est revenu profondément déçu, c’est le moins qu’on puisse dire…

Nombre de ceux qui, comme moi, ont eu le plaisir d’en suivre la préparation – un événement unique en son genre en France – et de la découvrir parmi les quelques privilégiés invités pour la « pré-inauguration », pourront s’étonner, voire se formaliser, d’un jugement aussi négatif. Rien ne semble avoir plu à notre visiteur, qu’on en juge [mes commentaires personnels sont en italiques entre crochets] :

« La lumière est faible, les mur sombres ou noirs et cela donne comme un effet de mausolée [merci pour le metteur en scène de l’expo !]. Les pièces les plus pittoresques et frappantes sont les posters antimaçonniques. Ils montrent, encore une fois, les aspects sataniques et occultes supposés de la maçonnerie […] Tout en français [à Paris, c’est assez logique…] Je n’ai rien pu voir sur les aspects modernes de la franc-maçonnerie, ses actions de bienfaisance, ses aspects sociaux, ses liens fraternels et son réseau mondial […] – en tout cas rien qui puisse persuader le visiteur qu’elle ne va pas mourir et qu’elle peut encore attirer à elle des hommes (et des femmes). »

Mais la partie de punching-ball se poursuit : « Il y avait deux vidéos de commentaires par les Grands Maîtres du Grand Orient, de la Grande Loge et de la Grande Loge Nationale. Aucun n’est apparu comme une bon ambassadeur pour la franc-maçonnerie et l’un d’entre semblait se remettre d’une bringue [sic ! angl. « binge »] - ou bien ne s’en remettait-il vraiment pas ? [sur ce point, je crois comprendre mais je m’abstiendrai de tout commentaire] »

Notre visiteur exténué d’ennui est ensuite passé par la librairie de l’exposition : « Il y avait plein de livres et un très gros ouvrage illustré avec la description des pièces exposées [il s’agissait, je pense, du magnifique catalogue de l’exposition]. Je suis passé à autre chose et j’ai acheté un livre moins cher que je n’ai pas lu, et j’ai pris mes propres photos. »

Le compte rendu de cette visite improbable est tellement négatif que le rédacteur en chef du magazine a estimé nécessaire de faire une note en fin d’article : « Clairement, Bob ce n’était pas pour toi. » Mais il ajoute pourtant : « J’ai moi-même visité l’exposition et je suis d’accord avec l’essentiel de ce que tu dis. »

Bref, l’exposition n’a pas intéressé nos deux amis anglais – cependant j’ai croisé, le jour de l’inauguration, des anglophones de diverses provenances pour qui la visite a été un vrai plaisir mais – puis-je le suggérer sans prétention ? – ils avaient un bon guide…

Ce qui retient mon attention ce sont certaines critiques de Bob Mellor – pas celles qui portent sur la qualité de l’exposition qu’il ignore superbement et, à mon avis, très injustement – mais surtout quand il note qu’on n’y parlait pas « des aspects modernes de la franc-maçonnerie, de ses actions de bienfaisance, de ses aspects sociaux, de ses liens fraternels ni de son réseau mondial… » La mention des femmes est également révélatrice. Naïvement, un maçon français s’attendrait à ce que la critique d’un maçon anglais porte sur l’absence d’approfondissement des sources légendaires, des symboles, voire de la spiritualité de la maçonnerie – car telle est la perception que nous avons de la maçonnerie anglaise : passionnée de rituels, de symboles et de prières…

Or, tel n’est manifestement pas le cas ici. Bob Mellor serait-il un maverick, ou représente-t-il une tendance significative de la maçonnerie britannique d’aujourd’hui ? 

L’article suivant permet d’en avoir une idée plus précise.

 

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« Pourquoi j’ai quitté la franc-maçonnerie »

The Square publie en effet ce que dans la presse française nous nommerions une « tribune » : le témoignage d’une personne qui critique violemment la franc-maçonnerie après en avoir été membre pendant quelques années, non seulement d’une loge bleue mais aussi d’un Chapitre de l’Arc Royal – considéré en Angleterre comme le complément indispensable du grade de Maître.

Soit dit au passage, je ne sais pas si une revue maçonnique officielle française serait capable d’en faire autant…

Là, encore, on croirait entendre Bob Mellor –  l’auteur écrit sous le pseudonyme de « NX Mason » : il commence en nous disant qu’il a falli s’écrouler de rire lors de son initiation en entendant l’énoncé des châtiments physiques encourus si l’on trahit son serment – « avoir la gorge tranchée, etc. ? ». Après son accès au grade de Maître il a visité des loges, dont une loge d’études qu’il a trouvée ennuyeuse. Lorsqu’il a accédé au Chapitre de l’Arc Royal – selon moi, l’un des plus beaux moments de maçonnerie du système anglais – il a trouvé le rituel dépourvu de sens et pratiquement incompréhensible. Il a logiquement fini par considérer qu’il était préférable pour lui de partir.

Le plus intéressant est en fait la liste très factuelle des reproches énoncés contre la maçonnerie, figurant en fin d’article. Cette liste, que je cite partiellement, nous apporte d’intéressantes informations. Notamment :

  • « Les membres [des loges] sont vieux et figés dans leurs habitudes. Je n’ai pas envie de passer mes soirées avec de vieux hommes pédants. »
  • « C’est trop hiérarchique. Les décisions sont juste prises et imposées – et pourtant je payais pour appartenir à ça. »
  • « Les rituels sont désuets et souvent franchement stupides. Beaucoup les récitent mais n’y croient pas. Par exemple, j’en connais plein qui ne croient pas en Dieu. »
  • « C’est beaucoup trop religieux – si je veux la Bible et des prières, je vais à l’église. »
  • « Tout y prend beaucoup trop de temps. Ça peut prendre toute votre vie. »
  • « Les repas [après les tenues] sont mauvais et les discours [qui se font habituellement à ce moment-là dans les loges anglaises] encore pires, et c’est la même chose à chaque fois.
  • « Les membres ne comptent pas dans la société en général. La plupart ne sont rien du tout. Certains sont même pires – nous avions deux alcooliques dans ma loge et un autre s’est suicidé. »

On est finalement heureux que cette démolition en règle s’arrête ! Et puis, on peut se mettre à réfléchir.

Certes, une expérience négative, même si, au témoignage de notre auteur, il a rencontré plusieurs autres maçons qui vivaient la même expérience que lui, ne suffit pas à juger une institution. La maçonnerie n’était sans doute pas faite pour lui. Nous pourrions nous en tenir là.

Pourtant, il faut écouter certaines critiques que nous pourrions sans doute transposer au cas français : sommes-nous sûrs que nos « travaux » soient toujours au bon niveau ? Les « carrières » maçonniques sont-elles toujours irréprochables au plan des méthodes ? L’exécution des rituels n’est-elle pas, ici comme là-bas, parfois purement mécanique et sans inspiration ? Quant à l’approfondissement de ce qu’ils contiennent, est-ce que cela aboutit toujours à un réel éclairage, sans jamais virer au pur « délire symbolico-maniaque » ? Je laisse à chacun(e) le soin de répondre.

Plus surprenant pour nous, le fait que « nombre de membres disent qu’ils croient en Dieu [parce que c’est obligatoire en Angleterre] mais en réalité n’y croient pas ! N X Mason ajoute du reste qu’il a rencontré dans les loges « beaucoup d’hypocrites pontifiants ». Mais cela ne nous-est-il jamais arrivé ?

Soulignons aussi la difficulté fréquente, également signalée par l’auteur, d’insérer l’engagement maçonnique dans la vie moderne, notamment pour les jeunes – ou moins jeunes – actifs. Cela suppose également une réflexion sérieuse et sans doute un changement des pratiques, à Londres comme à Paris, si l’on ne veut pas vider les loges dans les années et les décennies qui viennent.

Bref, les états d’âme d’un ex-maçon déçu ne changent évidemment pas la réalité de la maçonnerie, mais ce reportage inattendu au cœur d’un loge anglaise nous a tout de même apporté quelques surprises.

La maçonnerie en France a une chance – et une faiblesse : la multiplicité des Rites et des Obédiences. Oui, je sais, cela produit plus souvent qu’on ne le souhaiterait du désordre, de la confusion, et trop souvent aussi des situations simplement ridicules voire grotesques. Les grandes Obédiences n’aiment pas les petites, ou s’en agacent et les créditent de tous les maux de la maçonnerie. Mais en Angleterre où l’on trouve encore la plus puissante Grande Loge d’Europe, unique dans son pays où toutes les loges bleues sont censées faire à peu près la même chose en matière rituelle, par exemple, la situation est-elle pour autant nettement meilleure parce qu’il n’y a pas de « petites obédiences » ? Rien n’est moins sûr si l’on entend ce témoignage. Les grandes Obédiences françaises pourraient en prendre de la graine et réfléchir sur leur modèle.[1]

J’ai la chance de connaitre depuis des années des maçons anglais ou écossais éminents, savants et respectés. Je parle souvent avec eux en toute liberté et, à travers eux, j’entends d’autres témoignages. Comprenons-nous bien : je connais de nombreux maçons anglais qui vivent avec intérêt et même avec passion les innombrables rituels que leur offrent les quelque 120 ou 130 Side Degrees que compte leur univers maçonnique, et je corresponds avec eux sur notre passion commune. Ces rituels ne leur paraissent nullement ennuyeux ni absurdes, et leur tonalité religieuse – qui est fondatrice dans toute la maçonnerie, il faut le rappeler – ne les gêne aucunement. Sur FaceBook – car ils ne sont pas isolés tels des zombies dans leurs loges – ils échangent joyeusement à ce propos : voir notamment la page Side Degrees of Kent (groupe secret, of course !), particulièrement révélatrice à cet égard.

Il n’empêche que, dans le même temps, une partie de la maçonnerie anglaise « de base » aspire confusément à un certain changement, en tout cas à une certaine évolution, mais le « système » ne le permet que très difficilement et les maçons anglais sont d’autre part très légitimistes. Ces maçons sincères qui, à la différence de NX Mason, ne trouvent pas forcément les rituels « dépourvus de sens et pratiquement incompréhensibles », aimeraient cependant bien, parfois, qu’il y ait aussi en Angleterre plusieurs Obédiences.

Laissons pour le moment les Anglais à leurs problèmes. Je voulais seulement suggérer que la réalité maçonnique britannique, comme la réalité maçonnique française, est bien plus complexe qu’on ne le croit. Ceux qui, en France, ont voulu négliger cette complexité, qui suppose une approche prudente et appropriée des contacts et une gestion très subtile des initiatives de dialogue, en ont été pour leurs frais. Nous avons, quant à nous, la chance de posséder une maçonnerie plurielle, certes parfois bruyante, agitée et encombrante mais qui, au final, permet à tous et toutes d’exister librement ! Préservons donc cette « maçonnico-diversité » !

Manifestement, les maçons anglais – je ne parle pas ici de l’appareil de la Grande Loge –, du moins certains d’entre eux, cherchent à ouvrir les portes. Ne fermons pas les nôtres…

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[1] Ce point a déjà été évoqué en détail dans le dernier chapitre du livre que j’ai co-écrit avec A. Bauer et M. Barat en 2013, Les promesses de l’aube.

Voyager dans ce blog (1)

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La navigation dans les quelque 130 notes de ce blog n'est pas forcément chose aisée et les outils de recherche sont peu évolués, je dois le reconnaitre.

C'est pourquoi, avec chaque nouvelle note (ci-dessous celle du jour : "En parcourant The Square"), je vous proposerai désormais une navigation thématique, plus ou moins liée à la nouvelle note, qui vous permettra d'aller à des notes parfois déjà anciennes qui pourront vous intéresser.

Je vous en propose donc deux:

 

La maçonnerie pure en ancienne ne consiste qu'en trois grades et trois seulement ? (1) et (2)

 

La maçonnerie anglo-saxonne dans ses œuvres (vidéo australienne)

Franc-Jardinier à Londres !

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Un weekend à Londres m’a contraint à quitter la table de travail où j’écris deux livres qui doivent sortir d’ici à la fin de l’année (Le roman vrai de la franc-maconnerie – les 30 jours qui ont fait la maçonnerie sur les deux rives de la Manche, et Nouvelle histoire des francs-maçons en France– un troisième est déjà terminé et sera publié dans quelques semaines (Histoire illustrée du Rite Ecossais Rectifié) –, une activité intense qui explique d’ailleurs mon silence sur ce blog depuis quelques mois. Il cessera quand tout sera écrit !

Toujours est-il que je me suis rendu à Londres pour être reçu dans la Loge Hanging Gardens of Babylon # 13, appartenant à The Order of Free Gardeners in England.

Me voici donc Franc-Jardinier…

Le lieu n’est pas de retracer ici l’histoire, les sources et les destins contrariés de cet Ordre « paramaçonnique », que l’on croyait disparu et qui, miraculeusement conservé en Australie, a repris force et vigueur en Ecosse il y a quelques années, puis désormais en Angleterre – et qui sait, un jour peut-être, en France…

Je veux simplement saisir cette occasion pour réfléchir un peu sur ces « franc-maçonneries parallèles », les Friendly Societies qui sont souvent cheminé de conserve avec la franc-maçonnerie elle-même mais ont connu un destin différent.

Une myriade de Fraternités

Le phénomène des Friendly Societies a été remarquablement étudié pour les lecteurs français par mon ami Jean-Pierre Bacot dans son livre Les sociétés fraternelles, Dervy, 2007, auquel je renvoie naturellement.

Des Foresters au Druids en passant par les Buffalows et les Odd-Fellows, ces sociétés dont l’heure de gloire a été le XIXe siècle combinaient deux aspects majeurs : une préoccupation fondamentale d’entraide mutuelle et de bienfaisance active et concrète, et une organisation hiérarchique dans un cadre symbolique et rituel, avec des loges, des grades, des décors. Un cocktail improbable aux yeux des Français…

Les Free Gardeners sont un peu à part. En tant que Friendly Society, ils ont fini par disparaitre, victimes du welfare state et des entreprises modernes de solidarité et d’assurance. Mais leur redécouverte imprévue permet de faire surgir une autre dimension oubliée ; une dimension purement symbolique et rituelle, mais aussi morale et spirituelle, en un mot : initiatique.

 

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Tablier de Free gardener

 

C’est ainsi que se présentent les « néo » Free Gardeners qui sont très souvent des francs-maçons – mais pas toujours – et dont le rituel, d’aspect assez archaïque, typiquement britannique dans sa structure, permet une relecture des rituels maçonnique qui ont connu, quant à eux une évolution bien plus complexe.

Il y a quelque chose de rafraichissant chez les Francs-Jardiniers, avec les trois grades d’Apprenti – Adam, Eve et le Paradis terrestre –, de Compagnon – Noé célébrant le Très Haut par la construction d’un Autel après le Déluge – et de Maître Franc-Jardinier – sous l’égide de Salomon dont le Temple fameux est ici présenté sous son aspect « végétal »…

Mais surtout, si les rituels sont plus simples, la place des Instructions (en anglais : Lectures) plus grande que dans la franc-maçonnerie, on est également frappé par la moindre sophistication intellectuelle des discours et des enseignements, au profit d’une dimension profondément humaine, fraternelle, cordiale. Le tout sous l’égide inévitable du Grand Jardinier de l’Univers, ce Dieu de nos Pères, clé de voûte fondamentale de tout édifice initiatique dans cet univers britannique – la source même de la franc-maçonnerie et de tous les Ordres qui se sont développés sur son modèle.

 

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Tablier d'un Digne Vénérable des Francs-Jardiniers

 

On peut prendre cet Ordre des Francs-Jardiniers comme un des très nombreux systèmes de Side Degrees– les Anglais disent « grades latéraux » plutôt que « hauts grades » – qui composent l’essentiel de l’univers maçonnique britannique. Les maçons d’outre-Manche ne considèrent pas que la grade de Maître soit le terme de toute la maçonnerie : c’est au contraire, pour eux, là où tout commence, comme c’était le cas en France au XVIIIe siècle. C’est en explorant d’innombrables grades – plus de 125 sont disponibles en Grande Bretagne – que l’on approfondit la complexité de l’édifice maçonnique. La loge des trois premiers grades en est la base, non le  but et l’achèvement.

 

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Les trois emblèmes des Free Gardeners

 

Les Free Gardeners, une fois encore, ne sont pas maçonniques au sens propre du terme, mais le cousinage est frappant et immense. A commencer par les trois emblèmes fondamentaux que sont le Compas, l’Equerre…et le Couteau à greffer (Pruning Knife) ! Les décors sont familiers pour un franc-maçon et la cérémonie des trois grades de l’Ordre respecte à s’y méprendre la structure de nombre de Side Degrees bien connus en terre anglaise. 

Plus j’étude et pratique la franc-maçonnerie, dans toutes ses expressions, plus je me rends compte que, non seulement, il faut connaitre la maçonnerie britannique pour bien comprendre toute la maçonnerie, mais encore qu’il faut sortir de la maçonnerie britannique pour aller vers les Friendly Societies qui, paradoxalement, conservent une fraicheur native que la franc-maçonnerie institutionnalisée après « trois siècles » a parfois perdu en partie !

Il ne me restait plus qu’à aller assister dimanche matin à un service de l’Église anglicane à Londres, à Grosvenor Chapel, pour la Fête de Saint George –  où nombre d’Anglais, et parmi eux à coup sûr pas mal de francs-maçons, célébraient cet hommage à la fois national, rituel et religieux, sans y voir la moindre rupture, la moindre discontinuité, et naturellement la moindre incompatibilité avec leur vie maçonnique.

En effectuant ce parcours, on se sent bien loin des débats parfois navrants qui émaillent la vie maçonnique française…et plus encore – mais je me garde bien d’en dire un mot ici ! – la société française en général…

 

Et en prime, mon Diplôme !

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Histoire d'Anciens et de Modernes ...

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Le dernier numéro de R.T., consacré à la thématique des "Antients et des Moderns", contient notamment un article que j'ai rédigé sous ce titre :

 

La "Tradition des Anciens" : un mythe historiographique français

 

Un essai de déconstruction des légendes urbaines qui trainent encore dans certains milieux maçonniques français...

 

 

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Pour vous donner envie de le lire - et de commander le numéro voire de vous abonner à R.T. ! - en voici la conclusion :

 

A la lumière de ce que l'on vient de voir, une réalité toute simple apparaît : ce qui séparait les Anciens et les Modernes, en Angleterre, sur le plan strictement maçonnique et rituel, tenait à très peu de chose, et cette différence est allée en s'amenuisant très vite, au point qu'il fut très facile d'aplanir définitivement les obstacles qui les séparaient encore à la fin du XVIIIe siècle.

Il est probable que l'affaire de la loi sur les sociétés illégales (Unlawful Societies Act), en 1799, qui conduisit les deux Grands Maîtres des deux Grandes Loges « rivales » à effectuer une démarche commune auprès des autorités pour exempter toute la franc-maçonnerie des rigueurs de la loi, marqua une étape importante dans le rapprochement – quoique n'ayant pas procédé de l'initiative des Grandes Loges elles-mêmes ! Il faut aussi, sans doute, tenir compte de l'effacement de la génération des fondateurs, lourdement impliquée dans la période la plus violente du conflit, dont Lawrence Dermott lui-même, qui mourut en 1791.

Toujours est-il que la voie vers l'union était pavée depuis longtemps par de multiples croisements des pratiques des uns et des autres, comme nous l'avons vu. Lorsque la Grande Loge des Modernes, en 1809, convoqua une Loge de Promulgation, pour rétablir les « vrais Landmarks », elle se contenta d'adopter « l'ordre ancien des mots » – c'est-à-dire, pour le dire plus justement, l'ordre des mots tel que pratiqué par les Anciens à cette époque –, d'affirmer la nécessité des Diacres et de reconnaître que l'Installation secrète du Maître de Loge était une cérémonie essentielle.

Deux ans après la fin des travaux de la Loge de Promulgation, qui durèrent jusqu'en 1811, soit en 1813, la Loge de Réconciliation n'avait plus qu'à consacrer une Union déjà largement réalisée sur le terrain depuis longtemps.

Une parenthèse de plus de soixante ans s’était refermée. Pour les maçons anglais, il n’y avait ni vainqueur ni vaincu dans une union où peu de distance intellectuelle séparait réellement les protagonistes. Ni la tradition des Modernes, ni celle des « Antients » n’était perdue. Elles n’avaient été, en fin de compte, que deux façons de mettre en scène un contenu maçonnique, philosophique et moral globalement identique, quoique diversement partagé, sur fond de distance sociale, de querelles personnelles et de particularités locales : la nouvelle Grande Loge Unie allait à l’avenir en assumer indistinctement l’héritage. Voilà pourquoi, notons-le au passage, bien qu’elle ait en 1813 adopté pour toutes ses loges certains des usages considérés comme les plus fondamentaux par les Anciens, elle peut sans difficulté célébrer en 2017 son tricentenaire car elle est, au même titre, l’héritière indivise de la Grande Loge des Modernes. Le besoin d’unité qu’éprouvait la Grande Bretagne au début du XIXe siècle, à la fois pour résister à la France de Napoléon et aux germes de révolution venus du Continent mais aussi pour se préparer à son destin impérial dans le monde entier, avait eu finalement raison de ces conflits subalternes dont la dimension purement maçonnique avait toujours été très modeste.

 

Une histoire française

 

Tout pourrait s’arrêter ici. Pourtant, il n’en est rien : il faut évoquer une « suite française ». Nous entrons à présent dans la confusion documentaire et le mythe historiographique …

Il faut d'abord rappeler que la tradition des Anciens – entendons : les usages maçonniques propres aux Anciens –, n'a jamais pénétré en France pendant tout le XVIIIe siècle. La seule tradition maçonnique connue en France à cette époque fut celle transmise, dans des conditions encore en partie obscures, vers 1725, par des émigrés jacobites, anglais, écossais et irlandais. Peu de temps après, des loges et des maçons parisiens reconnurent d'ailleurs l'autorité de la Grande Loge de Londres – d'obédience hanovrienne.

A partie de ces faits, deux mythes historiographiques se sont constitués en France au cours du XXe siècle essentiellement : le premier affirme une opposition maçonniquement substantielle entre les usages, les principes et les rituels des loges jacobites et ceux des loges hanovriennes1, à Paris notamment ; le second rapproche les écossais jacobites qui figuraient dans les rangs des premiers francs-maçons en France, avec les grades « écossais » qui firent leur apparition à l'orée des années 1730.

Ces deux mythes historiographiques – car il s'agit bien de cela – ont fini par plus ou moins se confondre. Dès le XIXe siècle une historiographe aventureuse voyait déjà dans le personnage emblématique de Ramsay – à la fois écossais et jacobite ! – l'incarnation de cette synthèse, et n'hésitait pas à la créditer de l'invention des premiers hauts grades ! On sait que cette thèse a fait long feu depuis longtemps et ne repose sur rien, sinon sur des confusions et une profonde ignorance de la documentation disponible.

Rappelons ici simplement deux points:

  • en premier lieu, il n'existe aucun élément documentaire qui permette de soutenir si peu que ce soit que le rituel pratiqué à Paris, dans les années 1725-1735, dans les loges dites « jacobites », ait différé en quoi que ce soit de celui pratiqué dans les autres loges dites « hanovriennes ».

La seule différence mentionnée dans la « loge du Grand Maître » – à l’époque le comte de Derwentwater –, en 1737, est l'usage de l’épée que certains assimilent alors à un ordre de chevalerie et jugent déplacé. Notons ici, pour en sourire, que ce reproche fut aussi formulé, en 1764, par Dermott, à l'encontre...des Modernes ! Pour le dire en peu de mots, cet usage ne suffit certainement pas à établir une distinction fondamentale entre des rituels qui en réalité ne différaient pas, et la présence de l'épée en loge deviendra simplement une des caractéristiques de la maçonnerie française dans son ensemble – alors qu'elle restera proscrite aussi bien chez les Modernes que chez les Anciens pendant tout le XVIIIe siècle, et jusqu'à nos jours au sein de la Grande Loge Unie d'Angleterre...

  • en second lieu, les grades « écossais » sont une question complexe qu'il n'est pas question d'aborder ici. Toutefois des travaux des années récentes, sur lesquels nous reviendrons dans T., permettront sans doute à l'avenir de jeter un regard neuf, plus précis et plus juste, sur la genèse de ces grades. Il n'en demeure pas moins que leurs premiers témoignages se situent en Angleterre, à Londres et Bath, entre 1733 et 1735 (avec les « Scot Masters »), puis à Berlin et en France aussi bien qu'en Irlande, mais certainement pas en Écosse à cette époque.

Dans le cadre de cet article, c'est cependant à la question des Anciens et de leur « tradition » que je veux revenir pour finir. Le rituel des Anciens n'a été connu dans notre pays qu'à partir de 1804 et n'a jamais exercé la moindre influence en France pendant tout le XVIIIe siècle. Lorsque des Français, venus d'Amérique, y apportèrent les 33 grades de ce qui se nommerait bientôt le Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA), ils voulurent pour leurs grades bleus un rituel qui fût distinct de celui des loges françaises classiques, à savoir le Rite des Modernes, devenu en France, au début du XIXe , le Rite Français, sous l'égide du Grand Orient de France.

Comme ces pionniers du REAA avaient surtout connu la maçonnerie des États-Unis où, pour diverses raisons, la Grande Loge des Anciens avait davantage prospéré, au temps des Colonies anglaises d'Amérique, que celle des Modernes, il se trouve que leur Rite familier, si l'on peut ainsi s'exprimer, était le Rite des Anciens. Ils compilèrent une sorte de compromis en prenant pour base The Three Distinct Knocks et en lui adjoignant certains usages connus en France par les loges que l'on qualifiait, depuis le dernier tiers du XVIIIe siècle, de « loges écossaises ». Le Guide des Maçons Écossais (c.1804) est le prototype de cette improbable synthèse.

Ces loges écossaises du XVIIIe siècle, dans les grades bleus, pratiquaient des rituels qui nous sont parfaitement connus et respectent tous les fondamentaux du Rite des Modernes. La seule différence tenait au fait que les chandeliers placés autour du tableau, dans une loge Moderne-Française, se situaient au Nord-Ouest, au Sud-Est et au Nord-Est, représentant respectivement le Soleil, la Lune et le Maître de Loge, tandis que que dans les loges «écossaises», ils étaient placés au Nord-Ouest, au Sud-Ouest et au Sud-Est, figurant la Beauté, la Force et la Sagesse. On aurait pu parler à leur propos, de « Rite Écossais Moderne » : le Rite Écossais Rectifié en est un parfait exemple.

Le REAA a donc créé un nouveau type de loge pour les trois premiers grades – un modèle alors totalement inconnu en dehors de la France – combinant le plan général des Anciens et la disposition des chandeliers du Rite Écossais Français.

De cette innovation est provenu un troisième mythe historiographique qui a surtout prospéré dans les décennies récentes. Il essentialise, pour dire les choses simplement, la « tradition des Anciens», conférant aux loges anglaises qui réclamaient ce titre dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, tous les caractères que revendiquaient pour elles Dermott dans ses pamphlets, et admettant sans aucun examen critique les histoires les plus invraisemblables qu'il a martelées au sujet des Modernes et de leurs innovations.

Pour ce citer qu'un exemple de ces confusions et de ces constructions imaginaires, je veux reproduire quelques passages d'une histoire du REAA, curieusement intitulée « Les désillusions des trois royaumes », publiée en 2013 dans l'ouvrage collectif La franc-maçonnerie – Dictionnaire et histoire, sous la direction de Jean-Luc Maxence.

On peut notamment y lire ces propos assez caractéristiques :

« On entend parfois dire2 que la franc-maçonnerie moderne date de la création de la Grande d'Angleterre. Rien n'est plus faux. Quand on parle des « Moderns » il s'agit de cette nouvelle franc-maçonnerie créée en Angleterre en 1717 face à celle des « Ancients » d'York par exemple, lesquels ne tarderont pas à s'opposer à la nouvelle création. En France, il existe bien une franc-maçonnerie écossaise apportée par les jacobites en 1688. » (p. 104)

On peine déjà à compter le nombre d'absurdités et d'affirmations non documentées ou erronées que renferment ces quelques lignes, comme on peut s'en rendre facilement compte en reprenant les données exposées plus haut dans le présent article. Mais il faut poursuivre. Plus loin, s'agissant du travail d'Anderson, lors de la rédaction des Constitutions :

« Le texte andersonien fait peu de cas de la construction du Temple et de la parole perdue, de la Légende d'Hiram » (p. 111)

Et pour cause : en 1723, le grade de Maître n'existait pas et la légende d'Hiram n'était pas encore connue – ou bien notre auteur dispose d'un « scoop » extraordinaire que nous nous ferons un devoir de publier ! On peine ici à refréner un sourire...

Plus loin encore :

« Deux concepts maçonniques allaient s’opposer. Les « Moderns » rassemblement convivial des spéculatifs bourgeois ou nobles, et les « Ancients », rassemblés autour de la loge d'York, qui contestaient les innovations introduites dans la pratique de la maçonnerie par Anderson et Désaguliers. » (p. 111)

Il faut ici renoncer à lire plus avant de telles inepties, et je m'excuse auprès de mes lecteurs de les leur infliger, mais elles témoignent d'un courant d'opinion – qui se prétend historien ! – visant à établir l’existence d'une « double tradition » de la maçonnerie spéculative : celle des Modernes, destructeurs des usages et des secrets ancestraux du Métier; celle des Anciens, rigoureux préservateurs des pratiques régulières et bien sûr opératives...dont les maçons jacobites écossais et les grades écossais qui en dérivent (!) seraient, de nos jours encore, les derniers réceptacles traditionnels.

On voit que ces mythes historiographiques nous éloignent considérablement de l’histoire documentée et de ses méthodes pour nous entraîner non seulement dans l'illusion pure, mais surtout dans la politique maçonnique.

C'est sur ce seuil que je m'arrêterai, pour proposer quelques considérations finales.

Jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, l'histoire de la maçonnerie, essentiellement cantonnée en France et dans les Iles britanniques, y a connu une sorte de développement qui impose à tout chercheur de ne jamais séparer les deux pays dès lors qu'on s'intéresse, pour cette période, à la franc-maçonnerie. Après 1751, la fracture introduite introduite dans le paysage maçonnique anglais par la division entre deux Grandes Loges rivales – avec une concurrence surtout sensible vers la fin des années 1750, quand la Grande Loge des Anciens a connu son véritable essor –, et par ailleurs les conflits politiques européens qui ont gravement opposé l'Angleterre à la France, ont peu à peu conduit, sur les deux rives de la Manche, à des évolutions distinctes et même divergentes.

La question des Anciens, de leurs origines, des circonstances de leur apparition, de la nature exacte de leur action, en est une bonne illustration. Au prisme déformant des réalités maçonniques de la France contemporaine – disons depuis une cinquantaine d'années –, le risque est grand, face à une histoire complexe et méconnue, et à partir d'un dossier mal maîtrisé, de construire des théories fragiles et peu susceptibles de rendre compte de façon satisfaisante de la matérialité des faits. Telle n'est d'ailleurs pas leur propos : elles visent surtout à renforcer des convictions actuelles en essayant de leur donner une apparence de fondement historique – mais en réalité elle produisent le plus souvent des fantasmes.

Entre l'histoire et la légende, depuis plus de trois siècles, la franc-maçonnerie n'en finit pas d'hésiter...

 

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1 Pour autant que ce terme ait pu avoir le moindre sens en France...

2 On notera la rigueur documentaire de cette référence...

 

Une nouvelle publication...en attendant la prochaine reprise de ce blog !

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Trois ans de rédaction, mais des années de travail préliminaire. Le nouvel opus est désormais paru. 

Libéré de cette tâche, je reprendrai prochainement ce blog, que vous n'avez jamais cessé de consulter, et ce pour répondre à la demande de nombre d'entre vous !

 

A bientôt.

 

Pour en savoir davantage sur le livre, cliquer ici.

 

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Liberte-Egalité-Fraternité : petite histoire d'une "triple devise" dans la franc-maçonnerie

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Nombre de francs-maçons conçoivent naturellement la triple devise qui ouvre et achève leurs travaux, comme faisant partie intégrante de la culture maçonnique depuis toujours.. Nul doute en effet que l’aspiration dont elle témoigne et qu’elle s’efforce de traduire en quelques mots, ne soit au cœur de l’éthique du maçon. Son ancienneté dans l’Ordre n’est cependant pas aussi grande qu’on l’imagine, et son introduction ne s’est pas faite sans mal.

Pour en retracer la genèse, il faut  se reporter au XVIIIe siècle, avant la Révolution. Les « idées nouvelles » faisaient leur chemin dans la société française, notamment dans les clubs, les cabinets de lecture, et aussi dans les loges, mais pas plus qu’ailleurs. Le désir d’une large part de l’opinion éclairée - l’aristocratie libérale et la bourgeoisie particulièrement, de prendre part aux affaires s’exprime par les thèmes de « la douce égalité » et de la « tendre fraternité » qui fleurit dans tous les discours, notamment dans ceux des loges. Il n’en demeure pas moins que la formulation Liberté-Egalité-Fraternité n’est apparue dans le discours maçonnique q’après avoir été consacrée par la République, et certainement pas avant, comme le prétend une légende vivace.

Si, dès 1789, le marquis de Girardin proclame que la Constitution aura pour base « l’Egalité, la Justice, l’Universelle Fraternité », la proposition alors faite par le Club des Cordeliers d’adopter la triple devise n’est d‘abord pas retenue, et il faut attendre 1793 que les documents officiels de la jeune République s’ornent désormais de la formule « Unité, Indivisibilité de la République – Liberté, Egalité, Fraternité, ou la Mort ». Tout un programme, on en conviendra !

Toutefois, la maçonnerie ne l’adopte qu’ensuite, et on voit la devise apparaître sur la patente d’une loge qui en juin 1793 prend précisément comme titre distinctif « Liberté-Egalité-Fraternité ». Elle reste cependant peu usitée dans les milieux maçonniques, et l’on peut encore citer une mention  dans le Livre d’architecture de la Très Respectable Grande Loge de France qui avait refusé en 1773 la fusion avec le Grand Orient, et disparaîtra à son tour en 1799.

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Jusqu‘en 1848, plus jamais la triple devise n’est retrouvée dans un document maçonnique !

Le 24 février 1848, le gouvernement provisoire édicte : « Liberté, Égalité, Fraternité pour principes, le peuple pour devise et mot d’ordre ». La loi du 8 septembre officialisera enfin la devise comme celle de République. La Maçonnerie qui,  à Paris, a  pris une part active à la Révolution, envoie le 6 mars une délégation à l’Hôtel de Ville.  Le Frère Bertrand déclare alors :

« Les francs-maçons ont porté de tous temps sur leur bannière les mots : Liberté, Egalité, Fraternité. En les retrouvant sur le drapeau de la France, ils saluent le triomphe de leurs principes et s’applaudissent de pouvoir dire que la patrie tout entière a reçu de vous la consécration maçonnique ». 

Singulière façon d’écrire l’histoire…

Il faut pourtant attendre le convent de 1849 pour que le Grand Orient de France modifie son article Ier en ajoutant cette dernière mention : « La devise [de la franc-maçonnerie] a été de touts temps (sic) : Liberté , Egalité , Fraternité ». Dans le même texte, la Grand Orient proclamait pour la première fois de son histoire que la maçonnerie avait aussi « pour base l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme»…

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Ce n’est qu’en 1869 que la Grande Loge Centrale, fondée en 1822 par le Suprême Conseil de France pour gérer ses loges bleues, demande l’introduction de la devise dans l’Ecossisme  - et la suppression du Grand Architecte de l’Univers. En 1873, le Suprême Conseil accède à la première de ces demandes. Le même esprit et la même devise seront repris la Grande Loge Symbolique Ecossaise fondée en 1880, puis par la Grande Loge de France définitivement constituée dans sa forme actuelle entre 1894 et 1896.

La triple devise était ainsi universellement établie dans la Maçonnerie française. Universelle, généreuse, mais non point maçonnique d’origine, elle demeure du reste une spécificité maçonnique en France seulement.

 

Le (vrai) retour !

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Après quelques mois d’absence – mais de travail intense sur divers projets d’édition –, l’été est propice au retour !

Merci à tous ceux et toutes celles qui m’ont écrit, tout au long de cette période d’abstinence blogueuse, pour me le demander…

Je saisis cette occasion pour vous rappeler les évènements actuels et à venir qui méritent votre attention :

 

  • Tout d’abord, une livraison exceptionnelle de Renaissance Traditionnellequi nous a demandé des mois de travail. Un numéro sans équivalent consacré à l’un des grands mystères de l’histoire maçonnique française : la Grande Profession du Régime Écossais Rectifié. Nous y publions des documents inédits, des études de fond et nous espérons avoir fait, pour longtemps, le tour de ce sujet qui a suscité tant d’interrogations et tant de fantasmes…

 

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  • Je prépare également– et je vous informerai du progrès des choses – deux ouvrages pour les mois qui viennent : Le Roman vrai de la franc-maçonnerie – 30 jours qui ont fait l’histoire de la maçonnerie, en prévision de la célébration du tricentenaire de la Grande Loge de 1717, et une Histoire illustrée du Rite Ecossais Rectifié. Ces deux livres verront le jour chez Dervy entre la fin de cette année et le milieu de l’année 2017.

Je vous laisse prendre connaissance de la nouvelle note, de circonstance, que je mets en ligne, et la prochaine sera consacrée à un sujet tout aussi croustillant :  les « patentes » dans l’histoire de la franc-maçonnerie !


De retour de Cambridge

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Entre le 9 et le 11 septembre dernier s’est tenue, à Cambridge, dans l’enceinte du Queens’ College, la Conférence du Tricentenaire sur l’Histoire de la Franc-maçonnerie, réunie à l’initiative de la Loge londonienne Quatuor Coronati. J’ai eu la chance, avec une poignée de Français, de compter parmi la centaine de personnes qui ont pu assister et prendre part aux travaux de la Conférence.

Rappelons en premier lieu ce qu'est la Loge Quatuor Coronati 2076 : c’est la plus ancienne loge de recherches du monde, fondée en 1884. Or, ce point mérite ici un premier commentaire. Ce qu’on entend par « recherche maçonnique » en Grande-Bretagne, est bien différent de ce que l’on désigne souvent ainsi en France. Il ne s’agit pas de « super-loges » qui proposeraient des « super-planches », présentées par des « super-Frères (?) », à propos de tout et de n’importe quoi – ou presque. Cela désigne exclusivement une approche historique des sources, des origines, des documents fondateurs, des personnages et des évènements qui ont fait la maçonnerie à travers le temps et l’espace. On ne produit pas ici de « jus de crâne » : on tente de retrouver, par une approche objective et documentée, la vérité des origines. Les travaux publiés annuellement dans la prestigieuse revue Ars Quatuor Coronatorum depuis 1886 – le thesaurus de l’érudition maçonnique international – qui a été le modèle suivi par René Désaguliers en fondant en 1970 la revue Renaissance Traditionnelle– en sont l’éloquent témoignage.

La Conférence elle-même réunissait tous les noms les plus prestigieux de la recherche maçonnique anglaise, et la presque totalité des membres de la loge Quatuor Coronati en particulier.

Un coup d’œil au programme vous permettra de juger de la diversité et de l’intérêt des sujets traités:

 

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Je voulais juste faire part de quelques impressions.

La première est l’incroyable liberté de ton des chercheurs britanniques au sujet de l’histoire de la maçonnerie: ce que j'ai appelé, dans un de mes livres, leur "tranquille audace". Ici, pas de querelles d’obédiences rivales ou de prééminence d’un Rite qui, sous couvert pseudo-discussions savantes, instrumentalisait l’histoire maçonnique. Mais au contraire, l’histoire traitée de façon académique, sans arrière-pensée, de manière rigoureuse et distanciée. La critique des contributions présentée est également sans complaisance mais aussi sans acrimonie : on ne défend pas ici un « camp » contre l’autre, comme on le voit faire si souvent en France quand « leur historien » est opposé à un « historien à nous », pour reprendre une niaiserie, restée célèbre, d’un dignitaire maçonnique oublié. Je me dis parfois que si la maçonnerie anglaise est perçue en France, du moins par certains, comme "dogmatique", elle est néanmoins, quant au regard qu’elle porte sur sa propre histoire, incommensurablement plus libre et plus audacieuse qu’en France. Ce n’est d’ailleurs pas un constat joyeux pour nous autres Français, si volontiers donneurs de leçons.

En second lieu, plus je fréquente mes amis chercheurs anglais ou écossais – je veux citer ici, par exemple, John Acaster, John Belton et Robert Cooper, trois hommes avec qui j’échange depuis des années et pour qui j’ai un véritable respect – plus je suis convaincu que traiter l’histoire de la maçonnerie en France séparément de ce qu’on fait à ce sujet en Angleterre ou en Écosse est une stupidité.  Entendons-nous bien : je ne veux pas seulement dire qu’il faut tenir compte de l’histoire maçonnique des deux côtés de la Manche, car c’est une évidence, mais cela ne suffit pas : on peut, de chaque côté de la Manche, porter un regard erroné sur l’histoire maçonnique du côté opposé ! Je veux dire précisément qu’il faut encourager les rencontres et les conférences où des chercheurs « libres » des deux bords pourront échanger et confronter leurs points de vue.

Pour cela, il ne faut pas s’enfermer dans un programme qui présuppose les conclusions auxquelles on doit parvenir et, en France du moins, il ne faut pas placer de telles rencontres sous l’égide d’une obédience ou d’un Rite car, quelle que soit la bonne volonté des organisateurs, le biais est pratiquement inévitable. Un tel risque n’existe pratiquement pas en Angleterre…

Voilà pourquoi je rêve d’une Conférence qui, en Grande-Bretagne, réunirait à part égales des chercheurs français, anglais ou écossais en histoire maçonnique, afin de travailler ensemble à la constitution d’une histoire consensuelle des sources de la maçonnerie franco-britannique dans les trois ou quatre premières décennies du XVIIIe siècle. De même, il faut souhaiter que soient écrits des ouvrages conjoints entre des chercheurs français et anglophones. J’espère un jour voir ce vœu s’accomplir et je n’hésiterai pas à y travailler personnellement dans la mesure de mes moyens.

Dans l’immédiat voici quelques photos de cet événement :

 

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Masonic Center - Cambridge

 

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Déjeuner après la tenue des Quatuor Coronati

(la Reine nous regarde...)

 

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L'amphithéâtre des conférences à Queens' College

 

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Voilà où je loge dans le College...

 

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Ma petite chambre d’étudiant à Cambridge !

 

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Apéritif avant le Diner de Gala

 

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A table entre Bob Cooper et John Acaster !

 

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Photo finale avec tous les membres de Quatuor Coronati

 

Un dernier mot. Ces Conférences apportent parfois leur lot de surprises, de « scoops ». La conférence de clôture, présentée par le Pr Andrew Prescott, contenait une révélation de ce genre, assez bouleversante en cette année de célébration d’un tricentenaire : le 24 juin 1717…n’a sans doute jamais eu lieu !

Patience, j’y reviendrai bientôt (cette fois, c’est promis)…

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