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Des maçons errants ? La légende des Maîtres Comacins

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Une certaine historiographie postromantique, puisqu’on peinait à mettre en évidence une continuité institutionnelle entre les organisations de maçons du Moyen Âge et des associations professionnelles bien plus anciennes, a jugé qu’un lien personnel serait peut-être plus plausible : la transition ne se serait pas faite au sein des structures mais à travers des individus. Là encore, les vecteurs de cette transmission ont été désignés : les Maîtres Comacins. La désinvolture avec laquelle certains ouvrages les mentionnent encore, sans la moindre enquête sur l’origine de cette thèse ni la moindre évaluation de sa vraisemblance, oblige à aborder brièvement la question. Elle est en effet pittoresque et curieuse.

On doit à un auteur imaginatif de la fin du XIXe siècle, Giuseppe Merzario, d’avoir fait un sort particulier à d’énigmatiques architectes ou maçons italiens de l’époque pré-romane, les Magistri Comacini, ainsi dénommés probablement en raison de leur origine dans la région du lac de Côme1. Ces bâtisseurs auraient élaboré un style architectural, le « système lombard » dont Merzario affirme qu’il se serait répandu, grâce à leurs voyages à travers toute l’Europe, le long du Rhin et dans de nombreux pays comme l’Allemagne et la Hollande mais également l’Espagne. Quelques années plus tard, un écrivain à l’esprit tout aussi inventif ajouta que les Maîtres Comacins n’auraient été que les héritiers en droite ligne des bâtisseurs romains dont ils auraient transmis les secrets, appris dans les fameux Collegia fabrorum2. Quoi qu’il en soit, ces théories ne reposent que sur de rares textes et quelques rapprochements de formes architecturales et n’ont jamais convaincu les historiens de l’architecture.

 

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 Comme les "Quatre Couronnés", les Maîtres Comacins

appartiennent à la légende et non à l'histoire...

 

Or, les Maîtres Comacins ont pénétré l’historiographie fantaisiste de la franc-maçonnerie car ils furent opportunément identifiés à d’improbables « maçons errants », supposés avoir été les fondateurs des premières loges maçonniques, et dont il n’est pas fait mention avant le début du XVIIIe siècle. En 1691, un érudit anglais, John Aubrey, dans son Histoire naturelle du Wiltshire, qui ne sera publiée qu’en 1847, écrivit :

« Sir William Dugdale m’a dit il y a de nombreuses années que vers l’époque de Henri III3, le pape octroya une bulle ou lettres patentes, à un groupe de francs-maçons (Free-Masons) ou architectes italiens pour voyager à travers toute l’Europe afin d’y construire des églises. C’est d’eux qu’est provenue la Fraternité des francs-maçons ou maçons adoptés. Ils sont connus pour avoir entre eux certains signes ou marques (attouchements ?) et mots de guet : elle a existé jusqu’à nos jours. »4

Dès 1719, Richard Rawlinson, éditeur d’une œuvre posthume d’Elias Ashmole, Les antiquités du Berkshire, y ajoute une courte biographie de l’un des premiers francs-maçons spéculatifs dont le nom nous soit connu et rapporte, en évoquant cette appartenance maçonnique d’Ashmole, des propos presque identiques à ceux de John Aubrey. L’œuvre de ce dernier n’avait pas encore été publiée, mais Rawlinson avait eu accès au manuscrit. En 1750 enfin, le petit-fils de Christopher Wren, l’inoubliable concepteur de la cathédrale Saint-Paul de Londres, publiant les Parentalia ou Mémoires de la famille Wren apportait encore une révélation de cette nature :

« Wren était d’avis que ce que nous appelons aujourd’hui communément le Gothique devrait être plus justement et véritablement dénommé l’architecture sarrasine perfectionnée par les chrétiens. [...] Les Croisades donnèrent aux chrétiens qui y participèrent une idée des travaux des Sarrasins, travaux qui furent par la suite imités par eux en Occident. Des Italiens (au nombre desquels se trouvaient quelques réfugiés grecs), ainsi que des Français, des Allemands et des Flamands, se réunirent en une Fraternité d’architectes, avec l’aide de bulles papales leur conférant des privilèges spéciaux. Ils portaient le titre de francs-maçons (Freemasons) et errèrent d’une contrée à l’autre selon qu’ils trouvaient des églises à construire car à cette époque il s’en élevait énormément en tous lieux, par piété ou par émulation. Ils possédaient une organisation réglée et lorsqu’ils se fixaient à proximité de l’édifice à construire, ils établissaient un campement de baraques (Huts). Un géomètre (Surveyor) les commandait en chef, un contremaître (Warden) choisi dans chaque groupe de dix hommes commandait aux neuf autres. »5

 

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Ces trois mentions, qui se réfèrent évidemment à une source unique, sont également l’unique origine de cette légende. On n’en trouve évidemment aucune trace dans les Anciens Devoirs ni dans les Constitutions d’Anderson en 1723 – pourtant peu exigeantes sur la rigueur historique. On chercherait vainement la moindre allusion qui la corrobore un tant soit peu dans les textes médiévaux – nul, en tout cas, n’en a jamais trouvé, y compris parmi les partisans de cette théorie.

Pourtant, là encore, dès 1803, James Hall, dans son Essay on Gothic Architecture, reprend le thème et l’étoffe un peu en spécifiant que les Maîtres Comacins avaient eu « le pouvoir de prendre des apprentis, et d’admettre ou d’accepter dans leur compagnie des maçons approuvés. » Il va sans dire qu’aucune source nouvelle n’est sollicitée pour asseoir une telle révélation. Le travail d’enrichissement ne va pas moins se poursuivre avec en 1835 James Hope qui publie un Historical Essay on Architecture, très estimé, où il précise, détail révélateur, que l’autorité de Sir Christopher Wren, qui s’attache à la théorie des Maîtres Comacins, lui donne tout son poids. Or, comme on l’a vu, jamais Wren n’a rien affirmé de tel, mais seulement son petit-fils, trente ans après sa mort du célèbre architecte, qui rapporte selon la tradition de son père que Wren « était d’avis » que les choses se seraient passées ainsi – et notons que Wren, de toute façon, ne parle pas des Comacins !

Le travail de Merzario, en 1893, amplifia cette jeune légende mais, grâce à l’ouvrage de Leader-Scott, The Cathedral Buillders : The Story of a Great Masonic Guild, en 1899, les idées de Merzario, devenues accessibles aux lecteurs anglophones, connurent une diffusion très large. Le dernier à s’en emparer, mais pas le moindre, sera Joseph Fort Newton, un franc-maçon sans doute sincère mais exalté, doublé d’un pseudo-historien qui en 1914 publia The Builders, une sorte de compilation ahurissante de tous les ragots accumulés depuis alors presque deux siècles sur l’histoire de la maçonnerie : un livre sans méthode ni esprit critique, aujourd’hui illisible. Cette pénible somme, bourrée d’erreurs, de citations erronées, de théories sans preuve, fit la fortune définitive des Maîtres Comacins. On n’a pas cessé, depuis lors, de recopier pieusement cette fable.

Pourtant, dès 1788, un auteur anglais, T. Pownall, lui-même enclin à y adhérer, avait accompli la formalité élémentaire requise de tout historien en cette circonstance : il avait tenté de vérifier les sources. Il raconte qu’ayant pris contact dès 1773 avec le bibliothécaire du Vatican, il lui avait demandé de retrouver la trace des fameuses bulles. Le pape lui-même en avait vivement encouragé la recherche. L’enquête soigneuse était restée infructueuse6. Depuis lors, le silence obstiné des archives n’a fait que confirmer l’absence de ces prétendues lettres papales.

On colporte donc encore parfois une histoire dont on a montré, voici plus deux siècles, qu’elle ne reposait sur rien...

En résumé, on peut dire que si certains ont présenté les Maîtres Comacins comme les acteurs d’une révolution architecturale à travers l’Europe médiévale, c’est en vertu d’une théorie pour le moins fort contestée, et depuis longtemps, par la plupart des historiens de l’architecture. Si, en revanche, on veut faire d’eux les précurseurs de la franc-maçonnerie, le dossier est tout simplement vide.

La leçon est rude mais l’historiographie foisonnante de la franc-maçonnerie nous réserve d’autres surprises…

 

 _______________________________________________

[1]. G. Merzario, I Maestri Comacini : Storia artistica di mille due cento anni 600-1800, Milan, 1893. D’autres étymologies, que je n’examinerai pas ici, ont cependant été proposées.

[2]. On sait aujourd’hui que ce n’était aucunement l’objet de ces associations funéraires. J’y reviendrai un jour... Cf. G. Teresio Rivoira, Origini dell’architettura Lombarda, Rome, 1901, vol.1.

[3]. Il s’agit ici du roi d’Angleterre qui régna de 1216 à 1272.

[4]. D. Knoop, G.P. Jones, D. Hamer, Early Masonic Pamphlets, Manchester, 1943, p. 44.

[5]. Gould, History of Freemasonry, 3rd ed. 1951, I, pp. 137-138.

[6]. Gould, op. cit. p. 139.

 


1728-2003 : histoire d‘un 275ème anniversaire

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Beaucoup des francs-maçons se souviennent sans doute qu’on a célébré en 2003, par de nombreux événements tant officiels que culturels et scientifiques, le « 275ème Anniversaire de maçonnerie française » : je revendique ici d’avoir déterminé l’année à laquelle se rapportait cette célébration, et d’avoir indiqué  la nature de l’évènement qui s’y était produit.

La vérité des faits est encore plus précise : en 2002, Alain Bauer, qui entamait alors la dernière année de son mandat de trois ans à la tête du Grand Orient, me demanda un jour s’il serait envisageable, justifiable historiquement, de marquer l’année 2003 par le rappel d’un événement important ou significatif de l’histoire maçonnique française autour duquel toutes les Obédiences, qui traversaient alors une période de grâce dans leurs relations, pourraient se rassembler. Au terme d’une brève réflexion, l’année 1728 nous vint assez rapidement à l’esprit malgré le caractère assez inhabituel – mais pas totalement inusité – d’un « 275ème anniversaire » : onze ans plus tôt, en 1992, la Grande Loge Unie d’Angleterre elle-même avait bien fêté à grands fracas le 275ème anniversaire de la création de la première Grande Londres, à Londres en juin 1717 !

Les diverses récupérations de cette date de 1728 qui ont lieu depuis lors, pour des raisons obédientielles que je ne juge pas mais qui ont peu de rapport avec le souci de l’exactitude historique m’obligent, afin que la mémoire ne s’en perde pas, à la présente mise au point en forme de réponse à la question suivante : que s’est-il vraiment passé en 1728 en France, dans le domaine maçonnique ?

La réponse la plus lapidaire – si j’ose dire – tiendrait du reste en peu de mots : presque rien…

Cela nécessite évidemment une explication plus substantielle.

 

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Des débuts obscurs

Nul ne sait au juste quand les premiers francs-maçons ont paru sur le sol français. Il existe en fait deux thèses dont l’une est pratiquement sans fondement documentaire alors que l’autre repose sur des preuves indiscutables. Il reste qu’elles ne sont nullement incompatibles.

L’une affirme que les deux premières loges en France furent, dès 1688, celles de La Bonne Foy, du régiment de Dillon des Gardes écossaises et de La Parfaite Egalité, à l’Orient du régiment de Walsh-Infanterie. Ces deux loges mythiques appartiennent en effet au légendaire doré de la franc-maçonnerie française. Le lieu n’est pas ci de reprendre en détail ce dossier mais d’observer, après tant d’autres historiens qui ont confronté les maigres données disponibles, que rien ne permet d’affirmer l’existence réelle de ces deux loges – mais que rien non plus ne permet de l’exclure. Il est parfaitement vraisemblable que des francs-maçons, sinon des loges, aient été présents sur le sol français à cette époque, dans une émigration d’environ 20 000 à 30 000 personnes de souche britannique venues s’établir en France, suite à l’exil jacobite.

La deuxième étape, documentairement indiscutable, en revanche, est celle de la fondation à Paris, vers 1725, d’une loge rue des Boucheries. Lalande, l’un des plus anciens témoins de la première maçonnerie française, nous en a laissé un célèbre récit dans le supplément de l’Encyclopédie publié en 1773 :

« Vers l’année 1725, Milord Dervent-Waters, le Chevalier Maskelyne, d’Herguerty, & quelques autres Anglois établirent une Loge à Paris, rue des Boucheries, chez Huré, Traiteur Anglois, à la manière des sociétés angloises ; en moins de dix ans, la réputation de cette Loge  attira cinq ou six cens Frères à la Maçonnerie, & fit établir d’autres loges ;  […] » 

Des francs-maçons, il y en donc eu en France avant même qu’il y ait peut-être des loges, et donc avant que l’on puisse parler d’une franc-maçonnerie organisée : en 1688, il n’existe de « Grande Loge » nulle part au monde et, en 1725, la jeune Grande Loge de Londres et Westminster est encore très confidentielle et ne compte alors que quelques dizaines de loges, non loin du cœur de la capitale anglaise.

Dans ces conditions, pourquoi assigner la date de 1728 aux origines de la maçonnerie en France ?

Pour le comprendre, il faut faire un détour par l’Angleterre, à la découverte d’un singulier personnage…

L’improbable Wharton

Raconter la vie de « sa Grâce le Duc de Wharton » n’est pas une mince affaire. En quelques mots, un aristocrate pourvu de quelques dons mais velléitaire, fantasque, débauché, multipliant les allégeances et les trahisons dans une Angleterre déchirée par le conflit dynastique entre les Hanovre et le Stuart…

Dans des conditions plus que douteuses, il devint en 1722 Grand Maître de la Grande Loge de Londres, succédant au probe duc de Montagu, mais quitta sa charge l’année suivante dans des circonstances tout aussi mouvementées. Devenu ouvertement jacobite après avoir cultivé toutes les équivoques, sa situation politique étant devenue intenable et les créanciers se précipitant à ses trousses, il quitta l’Angleterre sans esprit de retour en 1725, pour une errance de quelques années en Europe. Il finit assez piteusement ses jours en Espagne, malade et alcoolique au dernier degré, en 1731.

En 1735, un document essentiel fut rédigé par celui qui, cette année-là, « assumait » la fonction de « Grand Maître » : Hector Mc Leane, écossais de naissance, justement l’un des trois fondateurs de la première loge à Paris ! Les Devoirs enjoints aux maçons libres, adaptation très libre – mais riche d’enseignements – des Constitutions anglaises de 1723, est ainsi l’un des textes les plus précieux de la tradition maçonnique française. Or, dans ce texte, Mac Leane fait figurer la mention suivante, capitale pour notre sujet :

« [Ces règlements généraux] furent modelés sur ceux donnés pat le Très Haut et Très Puissant Prince Philippe, duc de Wharton, Grand Maître des Loges du Royaume de France ».

Le reste est simple : la biographie mouvementée de Wharton, aujourd’hui parfaitement connue[1], permet d’établir sans erreur qu’il séjourna à Paris entre juin 1728 et avril 1729. C’est donc à cette époque, à nulle autre, qu’il put être reconnu comme « Grand Maître » en France.

 

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Frontispice des Constitutions de 1723

Wharton est à droite

 

Wharton avait été Grand Maître en Angleterre – d’une manière très controversée, certes, mais on avait fini par « régulariser » son élection. C’est sans doute parce que la très petite communauté maçonnique de Paris, en 1728 – alors évidemment composée d’une majorité de sujets britanniques – partageait ses engagements politiques, qu’elle ne fit aucune difficulté pour lui accorder le titre de Grand Maître, en France également. Une façon de dire que les loges, en France, ne dépendaient plus de la Grande Loge de Londres. En d’autres termes, qu’il y avait aussi, désormais une « maçonnerie française ».

Sans doute, la référence historique à Wharton n’est pas spécialement reluisante pour un événement « fondateur » – mais on ne choisit pas ses ancêtres…

Un Ordre maçonnique ou une Grande Loge ?

Que faut-il donc penser des affirmations reprises depuis par plusieurs Obédiences, à commencer par le Grand Orient de France puis la Grande Loge de France, selon lesquelles leur propre fondation remonterait à 1728 – au point que cette date a remplacé, sur leurs sceaux respectifs, celles qui y avaient toujours figuré : 1736 (?), 1773 et 1894 – ou s’y est ajouté, ce qui est plus subtil et traduit malgré tout un léger trouble de conscience ?…

Il faut simplement en penser que l’historiographie a toujours fait mauvais ménage avec la politique – fût-elle maçonnique – et peut-être surtout dans ce cas !

Que l’on soit clair : en 1728, la franc-maçonnerie – entendons par là : un réseau composé de quelques loges et d’une poignée de francs-maçons – était déjà présente en France depuis au moins quelques années, sinon deux ou trois décennies, même de façon ultra-confidentielle.  En outre, ce qui s’est produit en 1728 n’est aucunement la création d’une structure – a fortiori de ce que nous nommons aujourd’hui une « Obédience » ! Aucun récit du temps ne fait mention de quoi que ce soit qui puisse se rapporter à une fondation quelconque cette année-là ! Au regard des francs-maçons de cette époque, 1728 fut un donc, je le répète, un non-événement…

Mais le témoignage de Mac Leane, sept ans plus tard, est pourtant riche de sens, je l’ai dit. On comprend que James Anderson, dans la deuxième édition des Constitutions publiée en 1738, indique que « Toutes ces loges étrangères [mentionnées précédemment dans le texte] sont sous la protection de notre Grand Maître d'Angleterre. Toutefois l'ancienne loge de la ville d'York et les loges d'Écosse, d'Irlande, de France et d'Italie, assumant leur indépendance, ont leur propre Grand-maître. » Il n’est pour autant pas explicitement question de « Grande Loge »…

En 1728, il n’y avait pas encore de Grande Loge, c’est une évidence, et Wharton fut qualifié de « Grand Maître » sans avoir à exercer la moindre prérogative – pour autant qu’il en ait été capable et qu’il en ait eu le goût – pendant son bref passage en France. Enfin, si après lui quelque uns des pionniers de la petite troupe parisienne des francs-maçons exilés, comme Derwenwater, assumeront l’appellation de Grand Maître, il ne faut pas se méprendre sur ce que cela veut dire. Au début des années 1740 encore, il sera d’usage de qualifier de « Grand Maître »  ce que nous nommons depuis longtemps un Vénérable Maître. Cette coutume fut abandonnée vers le milieu de la décennie, au moment sans doute où, en décembre 1743, fut élu celui qui allait dominer de haute quoique lointaine autorité toute la maçonnerie en France pendant presque trente ans : Louis-Antoine de Bourbon-Condé, comte de Clermont (1709-1771), qui porta désormais le titre très significatif à ses yeux, de Grand Maitre[2]. Pendant cinq ans, le duc D’Antin, « premier Grand Maître français »,  l’avait théoriquement précédé, mais ce fut une ombre prématurément disparue et qui n’a pratiquement laissé aucune trace sur la franc-maçonnerie de son temps.

Désormais, il y avait donc un Grand Maître, mais un Grand Maître de quoi ? De la Grande Loge ? Pas du tout. Le titre constamment porté par Louis de Clermont, tout au long de sa vie, fut « Grand Maître des Loges régulières du Royaume de France » – le même titre que l’on attribue à Wharton en 1735 et dont il est supposé avoir joui en 1728. Le lieu n’est pas ici de revenir sur les origines et l’émergence du concept de Grande Loge de France au XVIIIe siècle – ce sera pour d’autres notes[3]– mais, de même qu’un Vénérable se nommait souvent « Grand Maître » de sa loge, je l’ai dit, il devint habituel de qualifier la Loge du Grand Maître –   Saint Jean de Jerusalem, à Paris, dont les règlements furent rédigés en 1745 – de « Grande Loge », puisque c’était la loge du Grand Maître ! Pendant une bonne quinzaine d’années environ, la Grande Loge de ne sera guère autre chose que les quelques proches collaborateurs que Clermont chargera d’expédier en son nom les affaires maçonniques qu’il réglait dans « sa » loge, c’est-à-dire la « Grande Loge »…dont personne ne pensait qu’elle avait été créée en 1728, cela va de soi ! L’expression « Grande Loge de France » elle-même n’est d’ailleurs pas attestée sous cette forme avant 1737.

Faisons un rêve…

Tous ces points étaient parfaitement clairs en 2003 et je dois à la vérité de dire que les Grands Maîtres des Obédiences qui, depuis l’année précédente, avaient formé une sorte de rassemblement informel dénommé « La Maçonnerie Française », le savaient tous très bien et n’interprétaient pas différemment cette célébration d’une mémoire collective, symboliquement rapportée à une date ancienne et significative – mais qui n’appartenait à personne.

 

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Quelques dignitaires avec le Président de la République

lors du 275e anniversaire

au Palais de l'Elysée

en juin 2003

 

1728 avait précisément l’avantage de se situer avant l’époque des Grandes Loges  et a fortiori du Grand Orient. Cette date n’était pas une borne administrative destinée à être détournée par les uns et les autres mais une date idéale, renvoyant à un temps où il n’y avait encore en France qu’une seule maçonnerie « indifférenciée ».

Le train de l’histoire, depuis lors, est passé. Il a laissé sur son chemin des structures, des juridictions, des règlements, des administrations. Il a aussi fait naitre – c’était sans doute inéluctable – des chamailleries et des querelles souvent peu substantielles mais incroyablement durables.

En « inventant » 1728, nous voulions rêver à un temps idéal où la franc-maçonnerie française était unie parce qu’elle était libre dans sa diversité. Nous sommes tous les « enfants » de 1728, parce que cette année-là, précisément, rien n’a été créé, ni fondé, mais un constat a été fait par les francs-maçons alors présents sur le sol de France : il s’y trouvait désormais un ordre maçonnique vivant et indépendant. Il n’y a rien d’autre à en dire.

Si la réalité actuelle du « paysage maçonnique français »  est parfois consternante – surtout depuis deux ans, et peut-être pour quelque temps encore – le rêve, quant à lui, demeure.

Veuille le Grand Architecte de l’Univers qu’en dépit de la bêtise ambiante, ce rêve-là ne s’évanouisse jamais tout à fait…

 

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Le Livre Officiel

du 275eme anniversaire...

 



[1] Voir la magnifique synthèse de mon ami M. Scanlan, in Le Monde maçonnique des Lumières – Dictionnaire prosopographique, 3 vol., Paris 2013.

[2] Rappelons au passage que depuis le milieu du XVIIe siècle, ce fut presque toujours un Bourbon-Condé qui assuma la fonction de « Grand Maître de France », l’un des plus hauts offices du Royaume, ayant la haute main sur la Maison du Roi…

[3] J’ai cependant eu l’occasion de faire un point assez détaillé sur cette question dans l’introduction historique que la Grande Loge de France m’avait demandé de rédiger, en 1995, lorsqu’elle eut l’heureuse idée de publier un très beau fac similé du Livre d’architecture de la Très Respectable Grande Loge de France (1789-1798), une Grande Loge « maintenue » après la création du Grand Orient en 1773, et qui finit sa vie en 1799 par fusion avec ce même Grand Orient. Je n’ai pas grand-chose à changer à ce texte pour lequel les autorités de la Grande Loge de France, m’avaient exprimé leurs chaleureux remerciements. Ce dont je leur suis toujours reconnaissant – je parle évidemment de ses dignitaires de 1995, pas de ceux d’aujourd’hui…

Une évolution du modèle maçonnique français ?

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A regarder les choses de près, il n’est pas rigoureusement exact de dire que le monde maçonnique est divisé en deux camps car une subdivision plus subtile peut y être décelée. Certes, il y a, d’un côté, les pays où la maçonnerie « régulière » est exclusive ou très largement majoritaire, ne laissant aux Grandes Loges qui s’en écartent qu’une place parfaitement marginale : c’est le cas des Etats-Unis par exemple ou des anciennes colonies anglaises comme l’Inde. D’autre part, on connait aussi des pays où, à l’inverse, la maçonnerie parfois appelée « libérale » – ou, pour employer un néologisme plus récent et assez équivoque, « adogmatique » – est très largement dominante, les Grandes Loges régulières y apparaissant au contraire comme  des « objets exotiques » – c’est une situation fréquente en Europe continentale. Cependant, la France, quant à elle, ne s’inscrit pas exactement dans ce schéma.

Parmi les quelques pays de vieille et forte tradition maçonnique, elle est l’un des rares à posséder à la fois une maçonnerie libérale importante, institutionnalisée, très ancrée dans le paysage maçonnique – et du reste majoritaire –, mais aussi, et depuis un siècle environ, une maçonnerie régulière (toujours au sens anglo-saxon) devenue dans les décennies récentes assez puissante pour être la troisième plus importante obédience du pays et rassembler, au moins jusqu’en 2011, environ 30%  de l’ensemble des effectifs. C’est probablement en raison de cette situation un peu exceptionnelle que le conflit relatif à la régularité maçonnique y a pris une dimension si importante, une nature peut-être plus complexe qu’ailleurs et un ton parfois très – ou trop ? – passionnel. Mais c’est aussi pour la même raison que les évolutions récemment constatées en France peuvent laisser entrevoir, à travers la possible mutation du modèle maçonnique français, une préfiguration éventuelle du futur paysage maçonnique mondial ou dévoiler certains des facteurs qui contribueront à le modeler.

 

 

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Une fascination qui ne cesse pas...

 

La France est un pays dont la riche histoire politique et culturelle a produit une franc-maçonnerie elle-même toujours très diverse, très vivante, voire passablement agitée. De même que la nation ne s’est constituée que tardivement en fédérant des régions dont les particularismes sont souvent demeurés très forts, de même que l’autorité politique centrale a eu du mal à s’y imposer, de même enfin la franc-maçonnerie française a toujours été spontanément divisée, indisciplinée et prompte aux querelles fratricides.

Ce seul fait, qui ne renvoie qu’à la seule culture française en général, suffirait à expliquer que le modèle d’une maçonnerie univoque et exclusive soit certainement inenvisageable en France où il n’a jamais existé et n’a même jamais été vraiment souhaité. On comprend que, pour cette seule raison, l’affiliation à régularité anglo-saxonne – fixée par l’antique « ennemi héréditaire » –  ne pouvait s’y imposer unanimement. Pas davantage que son rejet pur et simple, au demeurant, même si l’introduction de la maçonnerie « régulière » y est, somme toute, un fait récent.

Une couche de complexité supplémentaire a été ajoutée, en France, du fait que le différend intellectuel ou plus spécifiquement religieux qui sous-tend habituellement le refus de la « régularité » n’y répond pas exactement à la césure entre les Grandes Loges régulières et les autres : en effet, on trouve dans notre pays, et depuis longtemps, des obédiences qui tout en n’acceptant pas de faire allégeance à Londres affirment en partager les vues, ou du moins accepter les principales d’entre elles – on parle ici volontiers de « régularité initiatique ». On voit donc aisément que le résidu qui les empêche de rejoindre le camp de la régularité « administrative » s’explique davantage par des raisons historiques et culturelles que par des divergences proprement doctrinales.

Enfin, pour que la mesure soit comble, ajoutons que dans la composante féminine et mixte qui, tout en étant nettement minoritaire, est proportionnellement la plus importante au monde – et qui, par nature ou par « genre » est forcément impossible à « reconnaître » pour les Anglais – on trouve également des sensibilités très variées dont certaines peuvent être très proches des conceptions anglo-saxonnes.

Or, la situation tendue et conflictuelle qui s’est maintenue pendant plusieurs décennies, parsemées de quelques escarmouches verbales et de deux ou trois scissions mineures dans différentes obédiences, semble désormais pouvoir évoluer sous l’effet de trois facteurs nouveaux, indépendants et d’inégale importance mais curieusement tous apparus presque en même temps et assez récemment :

-         l’effritement indéniable du système diplomatique de la franc-maçonnerie régulière anglo-saxonne dans le monde, ouvrant à des évolutions d’ailleurs évoquées par la Grande Loge Unie d’Angleterre dès 2007;

-         la décision du Grand Orient de France, actée en 2010 et confirmée en 2011, d’abandonner la masculinité exclusive et d’admettre la mixité dans l’obédience historique en France, et la plus importante par le nombre, pour celles de ses loges qui le choisiront ;

-         la crise grave et sans précédent européen qui a éclaté publiquement au cours de l’année 2010 au sein de la Grande Loge nationale française, l’obédience « régulière » française, conduisant à sa véritable désagrégation en quelques mois.

 Certains de ces facteurs peuvent sembler de pure circonstance – comme l’affaire de la Grande Loge nationale française, bien qu’elle révèle en fait des problèmes de fond – et d’autres étrangers à la question de la régularité – le Grand Orient de France ne s’étant jamais soucié de reconnaissance anglaise –, et pourtant, dans tous les cas, des effets significatifs leurs sont potentiellement liés. D’une part en raison des sérieuses répercussions internationales qu’on suscitées les problèmes troublant l’obédience régulière française, d’autre part parce que la décision du Grand Orient de France ne peut manquer d’affecter, de diverses manières, plusieurs autres obédiences en France.

Plusieurs conséquences sans doute durables peuvent être aperçues dès à présent.

En premier lieu, la régularité risque fort de redevenir, dans notre pays et pour assez longtemps, un sujet secondaire ayant peu d’impact sur la vie maçonnique en général, comme c’était le cas il y encore une quarantaine d’années. Une parenthèse de quelques décennies se refermerait ainsi. Non qu’une Grande Loge régulière, reconnue comme telle par Londres, ne puisse à nouveau voir le jour, prospérer et vivre en paix – tout le monde sait, désormais, que son rétablissement officiel sera chose faite dans quelques jours ! – mais la question de la régularité a de grandes chances de ne plus se présenter comme « l’horizon indépassable » du débat maçonnique français. Les dégâts entrainés par l’enfermement dans la régularité resteront longtemps dans les mémoires.

Ensuite, la recomposition du système internationale de la régularité pourrait justement s’opérer en commençant par la France qui offrirait à ce New Deal un terrain de choix pour une expérience en vraie grandeur. Quels pourraient en être les contours ?

Le point sans doute le plus important est de comprendre que la multiplicité des obédiences est consubstantielle à la franc-maçonnerie française et que le pôle « régulier » qui doit incessamment s’y reconstituer ne le fera peut-être pas indéfiniment pas sur la base d’un Grande Loge unique mais éventuellement  sur un groupe de Grandes Loges aux liens plus ou moins lâches. La marque identitaire de chacune d’elles pourrait être soit une filiation historique particulière, soit encore la spécificité d’un Rite – en réglant librement dans chaque cas, et selon des principes propres à chaque structure, le problème des relations entre les loges bleues et les hauts grades –, car souvent les querelles intra-obédientielles ont trouvé leur source dans une navrante « guerre des Rites ». Le schéma, qui fonctionne en Allemagne depuis l’immédiat après-guerre, pourrait recevoir dans divers pays, notamment en Europe continentale mais sans doute aussi ailleurs, d’autres applications. C’est certainement une voie d’avenir.

Un autre point concerne ce que l’on nomme dans le langage de la diplomatie générale, le « niveau des relations ». En d’autres termes, devant la complexité des structures maçonniques, de leurs histoires et des cultures nationales, certains obstacles à d’éventuels rapprochements seront plus difficiles à vaincre que d’autres. La question suivante pourrait alors se poser pour tenter d’en sortir « par le haut » : n’y a-t-il aucun intermédiaire concevable entre l’intégration pure et simple au modèle anglais, ouvrant à la reconnaissance et à la « régularité » classique, et l’absence totale de toute relation ? Ne peut-on concevoir qu’il existe un espace entre « la régularité maçonnique » (au sens anglais) et l’absence de caractère maçonnique – c’est-à-dire, en clair, toujours pour les Anglais, l’irrégularité ? Peut-être les obédiences du camp anglo-saxon comprendront-elles un jour prochain que dans notre pays, par exemple, plusieurs obédiences accepteraient sans doute un certain type de relations avec la Grande Loge Unie, un certain niveau d’échanges, sans pour autant tout admettre et tout approuver. Si l’on généralisait cette conception, à une maçonnerie mondiale bipolaire et figée ferait suite une maçonnerie multipolaire et à géométrie variable. Le privilège d’ancienneté que tous consentiraient probablement à reconnaître à l’Angleterre en serait-il finalement  affecté ? Probablement pas.

 

 

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 On ne contournera pas Londres par Washington...

 

Mais pour parvenir à ces résultats, il faudrait que les autorités maçonniques anglaises le souhaitent véritablement. Or nul ne sait, à ce jour, si tel est le cas. Ignorer ce « détail », c’est aller droit dans le mur.  C’est ce qu’ont montré les initiatives récentes, lancées par quelques Obédiences européennes qui méconnaissaient manifestement la complexité du paysage maçonnique français. Leur échec, aujourd’hui assuré – que d’aucuns, dont je suis, avaient sereinement annoncé sous les sarcasmes – doit être médité. La transformation radicale du système de reconnaissance qui, à ce jour, reste solidement ancré en Angleterre – car le « contournement » par les USA, fantasmé par certains, s’est révélé parfaitement illusoire – ne se fera pas sans l’accord explicite et préalable de Londres, si la GLUA estime que son intérêt le commande. Au vu de l’évolution des choses, on ne peut donc  placer d’espoir que dans le fameux pragmatisme anglais…

S’agissant de la franc-maçonnerie française, en revanche, une fois libérée de l’absurde concurrence entre les « réguliers » et les autres, une nouvelle route pourrait s’ouvrir pour elle. Là encore, des niveaux de relations diversifiés pourraient être trouvés entre des obédiences renonçant à se juger mutuellement pour admettre leurs différences tout en reconnaissant leur commune origine. Et, pour la France, cette origine est contemporaine du surgissement même de la franc-maçonnerie spéculative organisée, soit au début du XVIIIème siècle. Au-delà des postures, des plaidoyers pro domo et des manipulations de l’histoire – vers la gauche ou vers la droite –, un tel patrimoine impose des devoirs aux francs-maçons de tous bords, bien plus qu’il ne leur crée des droits sur lui.

Ce serait du reste l’occasion de nourrir collectivement les études maçonnologiques, soit à travers d’authentiques sociétés savantes, soit au moyen des « loges de recherche », sur le modèle anglo-saxon, dont l’archétype est la loge Quatuor Coronati 2076, à Londres, dont les inappréciables travaux, depuis plus d’un siècle, ont tant apporté à la connaissance de la franc-maçonnerie et à la réappropriation de ses sources. Un tel travail, pour être authentiquement fructueux, ne devrait pas se situer dans l’orbe des concurrences obédientielles classiques puisqu’il s’adresse à la nature fondamentale de la franc-maçonnerie.

Cela aurait pu être – aurait dû et devait être – le travail de l’Institut maçonnique de France : l’égoïsme obédientiel, les initiatives destructrices de quelques dignitaires en mal de reconnaissance personnelle et les intérêts particuliers de certains petits milieux maçonniques ne l’ont pas permis. Il faudra pourtant bien que ce projet prospère un jour d’une manière ou d’une autre…

Nous sommes ainsi ramenés – et c’est par là que nous devons finir – à la question préjudicielle de toute histoire possible pour les décennies à venir : ce que les francs-maçons transmettent depuis plus de trois siècles, se trouvera-t-il encore des hommes – et des femmes – pour le désirer demain ?

 

 

Franc-maçonnerie et monde protestant

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Depuis son origine, la maçonnerie a entretenu avec le protestantisme des relations équivoques et contrastées, que la tolérance n’a pas toujours éclairées.

On a souvent souligné le rôle joué, dans la genèse de la franc-maçonnerie spéculative et obédientielle moderne, telle qu’elle surgit au début du XVIIIe siècle en Angleterre, par certains ministres protestants au premier rang desquels, bien sûr, les Révérends Jean-Théophile Désaguliers, de l’Église d’Angleterre, et James Anderson, presbytérien d’origine écossaise.  Au-delà de ces personnalités elles-mêmes, on a maintes fois souligné l’esprit qui s’exprime dans le fameux Titre Ier(« Concernant Dieu et la religion ») du Livre des Constitutions de 1723, édité sous l’autorité de la jeune Grande Loge de Londres, faisant de la maçonnerie le « Centre de l’Union » entre les « dénominations et confessions ». Il est facile d’y voir une manifestation de tolérance religieuse que des protestants tentaient alors d’imposer dans un pays déchiré pendant deux siècles par des querelles religieuses terribles et sanglantes.

 

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Jean-Théophile Désaguliers (1685-1744)

 

On ne peut encore que relever le contraste existant entre l’extraordinaire destin de la maçonnerie en Angleterre - puis dans toutes les Iles britanniques et dans l’Empire -  bientôt intimement liée à tous les dignitaires de l’Église d’Angleterre et de la Monarchie elle-même, et les avanies - car il n’y eut pas de vraie persécution  - que durent subir les Frères en France, presque tous catholiques mais simplement « tolérés  par le gouvernement » en tant que maçons, parfois embastillés et subissant dès 1738 les foudres de la condamnation papale et l’excommunication majeure - du reste sans effet pour eux en France, grâce aux privilèges de l’Église gallicane et à l’opposition des Parlements...

Or, malgré ces débuts favorables, l’histoire des relations entre les différents églises issues de la Réforme et l’institution maçonnique, à travers le monde, n’a pas toujours été simple ni constamment amicale. Depuis quelques années, notamment en Angleterre mais aussi aux États-Unis, plusieurs églises ont émis des jugements plus moins ou critiques, parfois franchement très hostiles, comme dans les milieux évangéliques, et formulé des recommandations défavorables à l’égard de la maçonnerie.

Malgré les apparences, une telle méfiance et parfois un tel rejet explicite peuvent se comprendre. L’une des caractéristiques majeures du monde protestant est en effet d’être éclaté, fragmenté en une multitude de dénominations qui, au cours de l’histoire, ont souvent montré plus d’hostilité les unes envers les autres, qu’envers leur adversaire commun, l’Église catholique. Il règne volontiers dans ces diverses églises, encore plus ou moins marquées par la mystique de l’élection, le sentiment diffus d’appartenir à une communauté retranchée du monde, marquée d’un sceau particulier, et porteuse d’une grâce spéciale. Ce sentiment peut du reste être vécu dans une certaine convivialité à l’égard des autres groupes religieux ou spirituels, et l’on a vu nombre de protestants s’engager en maçonnerie, et celle-ci entretenir des relations officielles courtoises avec plusieurs églises de la Réforme. Il n’en demeure pas moins que la tolérance envers ceux que l’on croit objectivement dans l’erreur, lorsque l’on appartient à une communauté qui est « possédée » par la vérité, ne peut s’étendre au-delà de certaines limites. Force est de le constater, et l’histoire le montre : le protestantisme a toujours revendiqué la tolérance pour lui-même, mais ne l’a pas toujours pratiquée à l’égard des autres lorsque le pouvoir lui a été donné...

 

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La franc-maçonnerie qui elle aussi est une société sinon fermée du moins seulement entrouverte, pas réellement secrète mais plutôt discrète sur sa vie interne, montre ici sa différence essentielle par rapport au particularisme protestant. La franc-maçonnerie a une vocation qu’elle qualifie elle-même d’universaliste, elle repose sur l’idée que sa méthode, son ambition, sont accessibles à tous les hommes de bonne volonté, et que la nature humaine est fondamentalement perfectible par le travail intérieur, moral, intellectuel et spirituel auquel elle l’invite. Une telle conviction qui laisse à chaque homme un espoir, une telle démarche volontariste qui invite chacun à œuvrer, à bâtir sa vie pour la rendre meilleure, peut heurter, on en conviendra sans peine, certaines sensibilités protestantes.

Au-delà même de cet aspect moral et  théologique, aujourd’hui en recul dans le monde protestant - comme d’une manière générale toute formulation doctrinale claire dans les églises chrétiennes contemporaines - la simple appartenance maçonnique peut apparaître aux yeux de certaines communautés ferventes - notamment fondamentalistes - comme une sorte de reniement, ou du moins de manquement à l’égard de l’église, puisqu’on va chercher en dehors d’elle ce que la foi et l’Écriture seules, autour desquelles elle s’est structurée, peuvent apporter aux justes.

On peut noter enfin que la même ambiguïté, curieusement, marque aujourd’hui les réactions protestantes et catholiques à propos de l’engagement maçonnique. Il était aisé au siècle dernier de ne voir dans la maçonnerie, en France singulièrement, qu’une machine de guerre contre la religion - quelle qu’elle fût -, et les protestants pouvaient même secrètement se réjouir de voir leurs alliés objectifs, les maçons, attaquer sans répit l’Église catholique et chasser les congrégations. De nos jours, nombreux sont ceux, pourtant, qui ont saisi la dimension manifestement spirituelle et même presque religieuse de la maçonnerie, dans certaines de ses expressions. C’est alors cet engagement spirituel lui-même qui est dénoncé, par l’Église d’Angleterre en 1986, puis par l’Église méthodiste, comme elle l’est désormais dans un argumentaire renouvelé depuis 1983 par l’Église catholique : la maçonnerie est devenue une rivale aux  yeux de toutes ces églises parce ces dernières voient en elle une sorte d’église concurrente. Singulier retournement d’alliance !

Cela n'a pas empêché, en Angleterre, d'honorables clergymen de continuer à fréquenter les loges dont ils sont souvent les Chapelains - un Office incontournable dans la maçonnerie anglo-saxonne...

 

Un document de travail du Synode de l’Église d'Angleterre en 1986

concluait de façon partiellement négative...

 

Il faut sans doute rappeler que le problème maçonnique n’est pas une préoccupation majeure pour la majorité des églises protestantes, singulièrement en France, que nombre de protestants – notamment dans la mouvance libérale encore bien représentée en France –  fréquentent aujourd’hui les loges et parmi eux plus d’un pasteur. La plupart d’entre eux n’éprouvent aucune difficulté dans leur vie maçonnique, et ne ressentent aucune contradiction entre ces deux engagements, mais on pourrait, sur tous ces points, faire les mêmes observations à propos du monde catholique dont les fidèles, et parfois les prêtres, ignorent désormais sans inquiétude les réserves ou condamnations récemment renouvelées par le Vatican – on vient de le voir, récemment encore, avec le Père Vésin dont l’outing maçonnique lui a valu d’être exclu brutalement de son ministère !

En un siècle où dépérissent les Églises constituées et prolifèrent à nouveau les sectes, la maçonnerie, par sa nature hybride, à la fois société de pensée et communauté spirituelle, n’est plus pour le monde protestant l’alliée presque privilégiée qu’elle fut sans aucun doute au siècle dernier. Rien, cependant, ne peut les opposer fondamentalement - pour peu que leur esprit fondateur y demeure.

Cette remise en cause peut même être profitable à ces Églises qui doivent aujourd’hui s’interroger sur ce qu’elles veulent être désormais, comme à la maçonnerie, songeant à ce qu’elle pourrait redevenir….

 

Petite histoire des rituels maçonniques "égyptiens" (1)

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Les rituels des grades égyptiens ont des sources diverses, autant que purent l’être les connaissances des multiples fondateurs ou refondateurs de la maçonnerie égyptienne elle-même. Leur apparition tardive a toutefois obligé leurs auteurs à inclure, intégrer et admettre les nombreux grades que la tradition maçonnique avait déjà produits tout au long du xviiie siècle, pour leur en ajouter de nouveaux, d’où une inexorable ascension pyramidale jusqu’aux vertigineuses hauteurs de 90 ou de 95 grades.

1.    1.  Les textes fondateurs

Si l’on s’en tient d’abord aux trois premiers grades, deux textes font référence : un manuscrit de 1820 pour le Rite de Misraïm [1], et le rituel publié par Marconis de Nègre à Paris en 1839, dans L’Hiérophante, développement complet des mystères maçonniques, pour le Rite de Memphis.

L’analyse de ces deux documents fait apparaître leur quasi similitude. Elle trahit surtout aisément leur source immédiate : le Guide des maçons écossais de 1804, plus ancien rituel du reaa pour les grades bleus ! C’est là une indication riche de sens et d’intérêt.

On sait que les deux Rites Égyptiens sont apparus au décours de l’Empire, ou dans ses derniers mois, dans un milieu de demi-soldes, en un temps où le paysage maçonnique français était dominé sans partage par le Grand Orient de France, pratiquant ce que l’on commençait à nommer le Rite Français, héritier des pratiques rituelles les plus communes de presque toutes les loges en France au cours du xviiie siècle. Le nouveau reaa, apporté en France une dizaine d’années plus tôt par des militaires venant d’Amérique et des Antilles anglaises, ayant d’abord conclu un accord très provisoire avec le Grand Orient de France (godf), suivi d’une rupture quelques mois plus tard, avait à la hâte doté ses loges symboliques d’un rituel distinct de celui du godf.

 

 

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Les sources du Guide sont connues : d’une part la principale divulgation anglaise du xviiie siècle sur le rituel de la Grande Loge des Anciens (créée en 1751-1753), intitulé Les Trois Coups Distincts (The Three Distinct Knocks) et d’autre part les pratiques des loges dites « écossaises » de la fin du xviiie siècle français, reposant au contraire sur le schéma symbolique de la Grande Loge des Modernes – celle de 1717 – avec quelques innovations, comme la disposition dite « écossaise » des trois grands chandeliers situés au centre de la loge, laquelle n’est pas connue en France avant le dernier quart du xviiie siècle. Une telle synthèse s’expliquait sans doute par le fait que la base française sur laquelle les nouveaux arrivants s’étaient appuyés était la Grande Loge Générale Écossaise, fort opportunément réveillée d’un long sommeil précédant la Révolution pour les besoins de la cause. Rappelons à ce propos qu’Alexandre Lenoir, auteur en 1811 de La franche-maçonnerie rendue à ses véritables origines,  appartenait précisément au Rite Écossais et y voyait l’incarnation même de la pure sagesse égyptienne transmise par la maçonnerie. Serait-ce un indice ?

Placés dans des circonstances peut-être comparables mais ne disposant guère des moyens de composer un rituel entièrement nouveau, les créateurs des Rites Égyptiens reprirent le Guidedes maçons écossais dont l’usage était très restreint en 1814, et qui n’appartenait à personne, aucun Suprême Conseil n’étant alors en mesure de s’opposer à sa mise en œuvre par quiconque le souhaitait. Ils y apportèrent à leur tour quelques minimes modifications. Rappelons les caractéristiques les plus originales de ces rituels.

Si le Vénérable siège à l’Orient, le Premier Surveillant est l’Occident – en fait au nord-ouest – tandis que le Deuxième Surveillant se place au Midi de la loge. Les mots des deux premiers grades sont B. et J., dans cet ordre. La nouveauté, par rapport au Guide, est la présence d’un autel central où brûle de l’encens – lequel ne quittera plus jamais les rituels égyptiens – et la définition des « trois objets précieux » placés sur le plateau du Vénérable : l’épée, la Bible et une aumônière. Les décors des tabliers sont rouges, et non bleus comme dans le Rite Français. L’office des Diacres, propre aux Anciens, a été maintenu – alors qu’il disparaîtra rapidement dans le reaa– mais ils sont ici appelés « Acolytes » (Misraïm) ou « Lévites » (Memphis). Des prières assez longues sont dites à l’ouverture comme à la clôture : « Père Éternel de l’Univers, Source féconde de lumière, etc. » (Misraïm) ; les acclamations rituelles sont « Gloire au Grand Adonaï ! » (Memphis) ou « Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! » (Misraïm).

En somme, une forme archaïque du reaa avec des formules d’inspiration religieuse bien dans le goût de ce culte syncrétique – doit-on dire « égyptianisant » ? – qui conduira en fait, au cœur du xixe siècle, à l’indifférence en matière de religion. En tout cas, nulle allusion à quelque ésotérisme abscons et rien de spécifiquement égyptien : le mot « Égypte » n’apparaît nulle part…

En 1849, dans Le Sanctuaire de Memphis ou Hermès, une compilation assez confuse, Marconis édite de nouveaux rituels, manifestement lacunaires et incohérents sur plusieurs points : il semble notamment que les deux Surveillants soient cette fois placés tous deux à l’Occident, comme dans le Rite Français. Cependant en 1862, dans le rituel « officiel » de Memphis, après l’intégration du Rite au godf, c’est bien cette dernière structure qui sera reprise, ne faisant qu’officialiser, à quelques détails près, le rituel bien mieux écrit que Marconis avait publié, en 1860, dans le Panthéon maçonnique. Au passage, les Diacres ont été oubliés, ou plutôt remplacés par le Maître des Cérémonies et le Grand Expert, selon une terminologie plus familière à la tradition maçonnique française. L’ambiance égyptienne est toujours aussi absente. Pour les grades bleus, tout laisse à penser que c’est cette génération de textes qui fut suivie, avec d’inévitables adaptations et peut-être quelques dérives, jusqu’à la fin du xixe siècle.

Toutefois, et dès l’origine, c’est par l’échelle de leurs hauts grades que les Rites Égyptiens se singularisent et méritent en partie leur nom même. Le premier à avoir publié des rituels et donné les caractéristiques des différents grades – au-delà des 30 hauts grades du reaa qui forment la base des pyramides égyptiennes – est encore Marconis de Nègre. Il rappelle lui-même que c’est à partir du 35e grade que « commencent les degrés propres à Memphis ». Dans L’Hiérophante, on trouve déjà un « Tuileur universel » des 33 premiers grades, qui montrent leur identité presque absolue avec ceux de l’écossisme : de minimes variantes existent, sur des détails peu signifiants, mais la même formule revient incessamment : « Rite Écossais, de même »…

De son côté le Manuel maçonnique de Vuillaume, publié en 1830, comporte en fin d’ouvrage un « Tuileur du Rite Égyptien ou de Misraïm » qui renvoie souvent au grade homonyme du Rite Écossais.

Soulignons-le à nouveau : dans ses 33 premiers grades, le Rite de Memphis n’est qu’une variante du reaa pendant tout le xixe siècle – et de nos jours encore, le plus souvent – et ce n’est pas spécifiquement dans la formule des rituels que réside la différence, pour autant qu’elle ait seulement existé au xixe siècle, mais plutôt dans leur esprit, du moins dans une certaine mesure, en tout cas à l’époque contemporaine.

Ces mêmes grades sont disséminés pour beaucoup d’entre eux, quoique souvent dans un ordre différent, dans l’échelle de Misraïm, au milieu d’autres dont, pour l’essentiel, aucun rituel ne nous est parvenu. On doit rappeler à nouveau que dans les impressionnantes pyramides des grades égyptiens, seule une toute petite minorité d’entre eux a été réellement pratiquée.

2.     2. Les plus anciens rituels des grades spécifiquement égyptiens

Si L’Hiérophante, en 1839, nous fournit surtout un Tuileur, du reste peu évocateur, c’est dans le Panthéon maçonnique, publié en 1860, que Marconis nous donne des indications extrêmement précieuses sur l’état de son Rite vers le milieu du xixe siècle et livre les rituels des grades effectivement pratiqués au-delà du troisième. La liste est évocatrice et sans surprise : Royale Arche (équivalent du 14e grade du reaa), Rose-Croix (18e du reaa) et Kadosh (30e du reaa et 31e de Memphis) – en somme les grades majeurs du reaa. Qu’en est-il dès lors des grades « purement égyptiens » ? Le Panthéon maçonnique n’en retient que deux : Sage des Pyramides (dont la place variera du 47e au 59e grade) et le 90e grade de Sublime Maître du Grand Œuvre, seul véritable couronnement du système, dont les rituels nous sont révélés (ils seront de nouveau publiés, pour le 90e, sous une forme légèrement différente, en 1866). C’est à cela que se bornait alors la maçonnerie égyptienne.

 

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 3.      3. De Yarker à Bricaud : l’épopée occultiste

Le travail de John Yarker marque une étape nouvelle dans l’histoire des hauts grades égyptiens. On sait qu’une réduction en 33 grades de l’échelle de Memphis avait été opérée en 1862 par Marconis de Nègre lors de l’intégration de son Rite au Grand Orient de France. Mais il ne s’agissait que d’un choix opéré parmi les 95 grades du Rite – dont la plupart, répétons-le, n’avaient jamais été réellement mis en œuvre, et d’ailleurs jamais écrits. Avec Yarker, un tout autre travail est effectué. Non seulement le ritualiste anglais modifia la composition de l’échelle en 33 grades, mais surtout il en rédigea les rituels.

De ce travail il subsiste un recueil à la fois précieux et rare : Manual of the Degrees of the Ancient & Primitive Rite of Masonry, publié en 1881. Il avait du reste déjà procuré The Secret High Degree Rituals of the Ancient and Primitive Rite of Memphis in 95°. Yarker, écrivain imaginatif et génial auteur de rituels, a sans doute été le premier à donner vie – au moins sur le papier – à des grades qui, jusqu’à lui, n’avaient eu qu’un simple nom. L’influence des textes de Yarker demeure considérable car ce sont ces textes que Téder (Charles Détré), leur probable traducteur, transmettra à son successeur, Jean Bricaud, au début du xxe siècle. Même si ce dernier décida de reprendre l’échelle en 95 grades – et même 97, en attendant mieux –, les plus hauts grades pratiqués du système, en particulier le Sublime Maître du Grand Œuvre (30e/90e) et le Patriarche Grand Conservateur (33e/95e) en ont certainement été durablement marqués. Pour le Rite Primitif à tout le moins (Memphis en 33 grades), les rituels de Yarker doivent aujourd’hui encore être considérés comme la source majeure des hauts grades spécifiquement égyptiens.

 

 

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John Yarker  : une énigme vivante...

L’apport de Bricaud, cette fois personnel et original, porte aussi sur le fameux 66e grade de Memphis-Misraïm, dont le seul antécédent dans les échelles égyptiennes était le 22e grade du Rite de Yarker (rappelons en effet que le 66e du Rite de Memphis, Sublime Kawi, dont on ne connaît qu’un Tuileur et aucun rituel, n’avait aucun rapport de contenu avec celui de Grand Consécrateur). C’est donc avec Bricaud que le Patriarche Grand Consécrateur est devenu un grade « sacerdotal » plus ou moins confondu avec l’épiscopat gnostique – Bricaud était « Patriarche gnostique universel ». Chez Yarker encore, qui introduisit la dénomination même de « Grand Consécrateur », ce grade ne possédait pas ce caractère très spécial. Tous les rituels actuels du 22e/66e remontent donc aux élaborations de Bricaud, dans le courant dans années 1930.

Je mets ici à part les Arcana arcanorum dont l’histoire insaisissable se confond précisément avec celle de ses rituels, plus déroutante que jamais.

L’expression Arcana arconorum (« Secrets des secrets ») n’est pas née dans la maçonnerie égyptienne car elle était déjà présente dans une certaine littérature rosicrucienne de la fin du xviiie siècle. C’est Jean-Marie Ragon qui le premier, en 1816, lors de la tentative d’introduction du Rite de Misraïm au godf, en fit mention. Il affirmera en 1841 que les grades du 87e au 90e comprenaient « presque toute la science maçonnique lorsqu’on a approfondi les développements des emblèmes et des allégories qui se rattachent à ces quatre derniers degrés » et en publiait aussitôt un abrégé assez détaillé. Toutefois le Rite de Memphis, avec son imposant 90e grade, ignorera pratiquement cette notion que Yarker – pourtant grand amateur de mystères – ne reprendra pas d’avantage.

 

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Jean-Marie Ragon : l'inventeur de plus hauts secrets?

 

Il faudra attendre les années 1930 pour que la question surgisse à nouveau en Belgique, particulièrement à l’initiative de Rombauts. Ce dernier se prétendait détenteur des authentiques Arcana arcanorum du « Régime de Naples », ayant jusque là, toujours selon lui, échappé aux imprimeurs. Ces « secrets oraux » des derniers grades furent communiqués à son entourage puis adoptés par le Convent de Bruxelles en 1934 [2]. Sachant le conflit qui existait alors avec le Souverain Sanctuaire de Bricaud en France, et la querelle de légitimité qui la sous-tendait, on mesure sans peine que la résurrection providentielle de tels secrets pouvait constituer un enjeu de taille. Eu égard à la maigreur du dossier, la situation pourrait cependant être simple si, depuis quelques années, de multiples revendications n’avaient été exprimées à ce sujet. Dans le désordre et l’incroyable dispersion du Rite, la possession des « vrais » Arcana arcanorum est ainsi devenue le Graal moderne de la maçonnerie égyptienne, donnant lieu à des publications à sensation autant qu’à des silences éloquents.

Je bornerai donc ici cette brève évocation d’une question assez complexe et que les débats contemporains qui l’environnent, dans certains milieux maçonniques et paramaçonniques, ne sont pas faits pour rendre plus claire.

Il reste que c’est dans la filiation qui, de Yarker à Chevillon, fait défiler tous les grands noms de l’occultisme, depuis la fin du xixe siècle jusqu’au milieu du xxe, que les rituels de Memphis-Misraïm, dans les grades bleus comme dans les hauts grades, ont adopté le parfum très spécial de « l’ésotérisme fin de siècle », entendons par là cette synthèse à la fois luxuriante, souvent peu cohérente et parfois indigeste, élaborée par les successeurs de Papus. C’est depuis cette époque que, par leurs rituels mêmes, les Rites Égyptiens ont acquis leur réputation « hermétique », avec toutes les imprécisions et les confusions que ce terme suscite volontiers – nous y reviendrons plus loin.

Gageons, toutefois, qu’il n’est pas certain que Bédarride et Marconis y auraient reconnu leurs enfants… (à suivre)

 


[1] Bibliothèque municipale de Toulouse, ms 1207.

[2] Ils ont depuis lors été publiés. Cf. S. Caillet, Arcanes et rituels de la maçonnerie égyptienne, Paris, Guy Trédaniel, 1994.

Une interview dans Alpina

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La revue Alpina, "magazine maçonnique suisse" qui est édité par la Grande Loge Suisse Alpina (GLSA), m'a demandé de répondre à quelques questions.

Cet entretien est publié dans le numéro 06/07-2014 qui vient de paraître.

En voici le texte intégral :

 

"Nous respecter mutuellement dans nos différences"

L’historien et chercheur français Roger Dachez connait notre pays. Il y est notamment venu donner des conférences dans le cadre du Groupe de Recherche Alpina (GRA). Ses livres connaissent un vif succès dans l'espace francophone et au-delà. Interview.

 

Alpina : Pour beaucoup d'entre nous la notion de maçonnologie semble floue, qu'en est-il exactement ?

Roger Dachez : Le mot n’est pas très beau – et d’ailleurs, il est  étymologiquement bancal – mais il est aussi consacré par l’usage. En revanche ce qu’il recouvre est désormais assez bien défini.

Pour tenter de l’éclairer, on peut faire référence à la double approche que, dans les sciences linguistiques et humaines, on désigne par emic et etic. La perspective emic est celle qui tente de comprendre « de l’intérieur » une démarche, une activité, un comportement, un code. C’est la langue qu’on parle, quand on est un locuteur naturel de cette langue ; le rite qu’on accomplit quand on ne s’interroge pas sur une tradition venue « du fond des temps » et qu’on met simplement en œuvre ; le geste qui s’impose à nous dans une situation émotionnelle donnée et qui nous a été légué par notre éducation et fait partie de notre « schéma corporel ».  C’est, en quelque sorte, la vie saisie dans la spontanéité de son déroulement.

La perspective etic, c’est « l’arrêt sur image ». Le cliché ou l’enregistrement pris par l’ethnographe, document désormais pétrifié – pour le bon motif – et qui devient objet d’étude, s’offre à la déconstruction, à la comparaison distanciée, à l’analyse structurale. Elle n’abolit pas la vie (l’emic) mais elle lui adjoint une grille d’interprétation possible, détachée de tout a priori.

On voit quelle application nous pouvons en faire : le travail en loge, c’est l’emic de la franc-maçonnerie, et la maçonnologie sera son etic

Au confluent de  l’histoire, de la sociologie, de la philosophie, des sciences religieuses  et de l’anthropologie, la maçonnologie s’efforce ainsi de saisir les invariants de la pensée maçonnique et de décrire ses structures jusque dans leur actualité, sans jamais s’y impliquer.

 

A trop analyser la franc-maçonnerie, notamment son histoire et sa sociologie, ne risque-t-on pas de  présenter ses aspects "profanes" alors que l'intuition et la sensibilité personnelles jouent un si grand rôle dans le parcours de l'initié ?

On a dit cela de l’histoire critique des origines du christianisme, à la fin du XIXème siècle : Renan, Loisy et tous les autres ont été voués aux gémonies parce qu’ils allaient « casser le mythe ». En fait, qu’est-il arrivé ? Tout le contraire ! La perspective de l’histoire critique a enrichi et renouvelé la démarche chrétienne. Je crois qu’il en sera de même avec la franc-maçonnerie.

Il y a certes, dans la franc-maçonnerie, une aventure intérieure qui s’appuie sur des symboles et des rites qu’il faut s’approprier. Cela, en un sens, ne s’apprend pas mais se vit. Nous sommes tous d‘accord sur ce point. Mais, là encore, quand on découvre l’origine de ces rites, les sources de ces symboles, quand on acquiert quelques lumières sur les circonstances et les raisons de leur introduction dans le champ maçonnique, quand on scrute leur intention fondatrice ainsi que  leur évolution – car le rituel maçonnique, dans la longue durée, est tout sauf intangible ! – on se donne des instruments nouveaux et très utiles pour approfondir et revisiter un patrimoine traditionnel d’une complexité inouïe.

Je ne crois donc absolument pas que l’approche « éclairée » – je préfère le dire ainsi plutôt que de parler « d’aspects profanes » –  s’oppose à l’approche « intuitive. » En fait, la véritable cause d’une certaine hostilité à la maçonnologie est le plus souvent d’une autre nature, il faut avoir le courage de le dire et surtout l’honnêteté de le reconnaitre : c’est une réelle et trop fréquente paresse intellectuelle…

 

Tu présides l'Institut maçonnique de France (IMF), quels sont les buts et activités de cet organisme ?

Fondé il y a douze ans, l’IMF a pour but d’être un lieu neutre et indépendant où toutes les sensibilités maçonniques peuvent concourir à des événements communs qui mettent en valeur et font mieux connaitre l’histoire et le patrimoine culturel de la franc-maçonnerie. Et cela sans querelles de rites ni rivalités d’obédiences.

Ses réalisations les plus remarquables sont les Salons maçonniques du livre qui ont fleuri un peu partout en France. Celui de Paris connaîtra sa 12èmeédition en novembre prochain. Le précédent a attiré près de 5000 personnes en deux jours, dont un tiers de profanes !

 

La question de la reconnaissance maçonnique va-t-elle selon toi, à court et à moyen termes, rester en l'état actuel ou évoluer vers une autre forme ?

Le paysage maçonnique change toujours, son histoire l’a montré, mais assez lentement. Je ne crois pas du tout que la maçonnerie anglo-saxonne modifiera sensiblement ses critères fondamentaux de reconnaissance avant longtemps. J’ai le sentiment que, par méconnaissance du sujet, ou parce qu’ils prennent parfois leur désirs pour des réalités, beaucoup se font des illusions à ce sujet. Le seul changement qui pourrait intervenir à court terme serait l’abandon de la « clause de territorialité » – qui n’est d’ailleurs pas incluse dans les Basic Principles de 1929 mais qui a, de facto, toujours été observée. Cela veut dire que dans l’avenir, la Grande Loge Unie d’Angleterre – et sans doute aussi les Grandes Loges américaines – pourraient reconnaitre dans un même pays deux ou plusieurs obédiences qui n’auraient pas nécessairement de liens entre elles. Cela peut ouvrir des voies nouvelles.

 

Comment vois-tu l'évolution de la franc-maçonnerie en France, toutes obédiences confondues, des rapprochements ou au contraire des crispations et des replis ?

Ce problème ne se pose que dans les pays latins où la maçonnerie « non reconnue » (par les Anglo-Saxons) est à la fois majoritaire et très morcelée. En France notamment, pour dire les choses clairement ! Il y a dans notre pays une obédience « régulière et reconnue » depuis un siècle, cela fait partie du paysage. Ce sont les passages d’une culture à l’autre qui sont souvent problématiques : on l’a vu en Belgique avec la Grande Loge, reconnue en 1959 puis « déreconnue » en 1979. On peut tout envisager, mais à condition de ne pas jouer sur les mots et de ne pas se mentir à soi-même – sans parler de mentir aux Anglais. Je dirais volontiers qu’en ce domaine, il y a peut-être des obédiences qui n’ont pas les moyens de leurs ambitions...

En fait, je pense que l’unité maçonnique, en France, n’est pas pour demain et que ce n’est pas un drame. L’essentiel est de nous respecter mutuellement dans nos différences : c’est un principe maçonnique, non ?

 

La prolifération d'obédiences à laquelle on assiste actuellement dans certains pays est-elle à ton avis un phénomène positif ou non ?

Je crois surtout qu’il faut en rechercher les causes. Les dérives administratives, autoritaires ou simplement médiatiques de certaines « grandes » obédiences, les conflits larvés que quelques-unes entretiennent entre elles, sans parler des gesticulations de certains dignitaires, tout cela peut expliquer la lassitude de certains francs-maçons. Si cette culture ne se corrige pas, l’émiettement est inévitable et il se poursuivra...

 

L'individualisme allant croissant dans les sociétés modernes, l'engagement associatif perd du terrain. Serait-ce un phénomène irréversible ?

Un sociologue comme Michel Maffesoli rétorquerait que c’est aussi le temps des « nouvelles tribus » : on cherche, par affinités électives, à reproduire le « cocon » primitif dans de petites communautés fraternelles. La loge ressemble pas mal à cela, à condition qu’elle recouvre une bonne part de son autonomie, souvent perdue dans nombre de cadres obédientiels, surtout en France, pays de tradition « jacobine » et donc très centralisateur !

 

On assiste souvent dans nos rangs à des idées plus ou moins convenues lorsqu'on aborde des thèmes philosophiques. Comment “booster“ la pensée des Frères hors des sentiers battus ?

Je ne  suis pas certain qu’il s’agisse d’un problème spécifiquement maçonnique. Je crois plutôt à une baisse inquiétante du niveau de culture générale des générations les plus récentes. J’enseigne à l’Université depuis trente ans et j’en suis le témoin navré ! J’en reviens donc à la maçonnologie : sans un peu de (vrai) travail intellectuel, et pour le dire clairement, sans quelque connaissance des humanités classiques, on ne va pas très loin, pas plus en maçonnerie que partout ailleurs dans la vie.

 

Quels seraient aujourd'hui les principaux enjeux pour assurer l'avenir de la franc-maçonnerie en Europe et dans le monde ?

1. Lutter contre la baisse dramatique des effectifs dans le domaine anglo-saxon. 2. Juguler les conséquences néfastes d’une croissance incontrôlée des effectifs dans les pays latins ! Cela peut sembler contradictoire, mais je me demande parfois si ce ne sont pas les deux facettes d’un même problème.

La solution ? Peut-être un juste équilibre entre le formalisme rituel et le travail intellectuel en loge : pour exorciser le premier et discipliner le second.

 

Voilà 600 ans, Jacques de Molay périssait sur le bûcher. La commémoration va-t-elle “rallumer“ le débat entre partisans et opposants de la filiation Templiers - franc-maçonnerie ?

Je pense que rien n’empêchera jamais les naïfs, les rêveurs  et les gogos de gober ces histoires à dormir debout. On a beau avoir écrit des tonnes de littérature montrant qu’il n’y a aucun lien d’aucune sorte entre l’Ordre du Temple et les origines de la franc-maçonnerie spéculative, rien n’y fera, j’en ai peur. C’est l’inévitable part du rêve…qui rapporte d’ailleurs pas mal d’argent à certains auteurs !

 

Il y a également «le thème chevaleresque dans l'imaginaire maçonnique» dont tu as récemment traité dans une anthologie (voir rubrique Books de l'Alpina 5/2014). Pourquoi un certain nombre de maçons ont-ils de la peine à admettre l'arbitraire voire la fantaisie dans les textes et rites de notre ordre ?

Peut-être parce qu’ils ne font pas suffisamment la part de la métaphore, qui est le ressort essentiel de franc-maçonnerie. Par ma culture protestante – c’est un trait extrêmement minoritaire en France – je suis familier d’un abord interprétatif et critique – au sens positif : trouver un sens cohérent – des textes « sacrés ». Je ne crois pas du tout que les rituels maçonniques soient des textes sacrés, mais le parallèle me parait valable. Ce sont des jeux, mais des jeux sérieux. Si l’on comprend cela, de nombreux horizons peuvent s’ouvrir où les uns et les autres pourront cheminer côte à côte, pas nécessairement avec la même vision du but, mais sans pour autant s’affronter stérilement.

 

As-tu actuellement un livre en chantier ou en voie de publication ?  

Non...j’en ai trois ! Tout d’abord, pour la rentrée prochaine, un troisième opus historico-maçonnico-policier, avec mon fraternel « complice », le criminologue Alain Bauer : ce roman se situera à Washington, au temps de George Washington. Pour la fin de l’année une Histoire illustrée du Rite Ecossais Rectifié, et puis une grande Nouvelle histoire des francs-maçons en France qui devrait paraitre en 2015.

 

 

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Une carte postale d'Angleterre

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Juste pour divertir un peu nos vacances - parfois intellectuellement ternes - voici une petite information estivale de la franc-maçonnerie anglaise qui donne à réfléchir : le service religieux annuel, dans la cathédrale (anglicane !) de Gloucester, ayant rassemblé, le 5 juin dernier, plusieurs centaines de Frères de la région, accueillant en grande pompe leur Grand Maître, l'inoxydable Duc de Kent.

Le cousin de la reine, Grand Maitre depuis 1967 - et réélu annuellement depuis - état accompagné du Lord Lieutenant de Gloucestershire, Dame Janet Trotter, et des dignitaires locaux de la Grande Loge Provinciale ainsi que de plusieurs édiles - francs-maçons ou non.

On ne peut pas réellement comprendre la franc-maçonnerie anglaise, britannique en général - ni saisir ce que pouvait être la franc-maçonnerie des origines - si l'on ne réalise pas à quel point l'institution maçonnique est profondément liée aux coutumes et mœurs anglaises dans tous les domaines. Pas seulement sur un plan purement formel ou administratif, mais par la mentalité, je dirais presque, l'image du monde...

Chaque année, la Grande Loge fait ainsi célébrer des services religieux dans les églises de la religion "établie" et les Frères en décors y participent avec joie. Quel étonnement - voire quel  scandale ! - pour nombre de maçons français, pénétrés de l'idée que la franc-maçonnerie est avant tout une institution laïque, "gardienne de la République" !

 

 

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Arrivée du Duc de Kent dans la cathédrale de Gloucester

 

Et pourtant, les Anglais n'ont rien à nous envier en matière de défense des droits individuels (l'habeas corpus a été inventé par eux et n'existe toujours pas en France), de démocratie représentative (leur Parlement est doté de droits réels depuis le début du XVIIIe siècle) et de respect de la liberté de conscience (aucune religion ne s'impose aux autres depuis 1689). Simplement, les Anglais ont intégré toute leur histoire - et elle fut mouvementée - sans jamais rien rompre ou éradiquer : ils ont un jour décapité leur roi...avant de rétablir son fils sur la trône douze ans plus tard; à la monarchie absolue a succédé la monarchie parlementaire - sans qu'aucune Constitution n'ait jamais été adoptée !

Les Anglais, à la différence des Français, ont cette capacité unique d'embrasser tout leur passé sans rien en retrancher. Marc Bloch exprimait sans doute un regret autant qu'une conviction lorsqu'il écrivait : « il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération ».  Oui, certes, mais combien de Français sont-ils vraiment capables de double devoir de mémoire  ?

Pour un Britannique, on doit être tolérant en matière de religion  - ils l'ont été bien avant nous ! - , mais on ne peut pas ne pas avoir d'appartenance religieuse - et cela avec la plus grande délicatesse et un savoir-vivre extrême, qu'il faut constater pour en mesurer l'ampleur. Les francs-maçons anglais ne sont d'ailleurs pas atypiques dans leur pays, car la grande majorité des sujets de Sa Gracieuse Majesté partagent encore cette vision du monde.

 

 

 

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Le Grand Maitre de la GLUA accueilli par le Doyen de la cathédrale

 

 

Certes, le tempe passe, lui aussi, en Grande-Bretagne comme ailleurs : selon des sondages récent on y dénombre à présent environ 25% d'athées ou d'agnostiques déclarés. Une évolution comparable se produit aussi en Écosse.

Les institutions anglaises ne sont cependant pas figées ni "passéistes" comme on le croit parfois sottement en France, ce qui conduit certains à en sourire niaisement. Elles intègrent le passé dans le présent. Le Duc de Kent n'a pratiquement aucun pouvoir  - beaucoup moins que ses "collègues" français en tout cas - au sein d'une Grande Loge qui est en fait gouvernée par le Board of General Purposes, dont les membres sont très majoritairement élus par les loges. De même, l’assistance en corps au service religieux annuel est, pour les francs-maçons anglais, une façon de célébrer publiquement, et tout ensemble, leur attachement aux vieilles traditions du pays, mais aussi leur affection pour leur loge, leur fierté de voir à leur tête le cousin de la reine, et enfin - que les laïques français ne s'en émeuvent pas ! - leur tolérance religieuse, car ils n'ont jamais fait de l’Église d'Angleterre celle de la Grande Loge, mais cette Église, ils ne l'oublient pas, celle des "libertés anglaises", est aussi celle de l'État, elle fait partie d'un patrimoine national dont ils ne veulent rien retrancher.

En Angleterre, j'ai entendu les Frères chanter, avant la tenue, l'hymne national - certains le font après, au début des agapes - et j'ai chanté God save the Queen avec eux. En retour, et contre mon attente, ils ont entonné deux couplets de La Marseillaise pour me faire honneur : un spectacle indescriptible et inoubliable, mais combien émouvant ! Et je me suis demandé combien de francs-maçons français, si volontiers donneurs de leçons, seraient capables, sans ironie, de leur rendre la pareille...

On pourrait bêtement sourire ou s'offusquer de cette image de la cathédrale de Gloucester, par inculture à la fois historique et maçonnique. J'ai parfois constaté cette réaction de la part de francs-maçons français qui ont oublié de réfléchir et de se documenter avant de juger à l'emporte-pièce. Et je me suis dit, parfois aussi, que mes Frères et amis anglais sont sans doute plus "libéraux et adogmatiques" que certains maçons français qui ont fait de la laïcité leur religion...

La France n'est pas l'Angleterre, l'histoire des relations entre les Églises et l’État, notamment, n'y fut pas du tout la même, et cela explique beaucoup de choses, en dehors même de la franc-maçonnerie. Mais au moment où l'on se préoccupe, péniblement semble-t-il, de "recomposer" le paysage maçonnique français au sein duquel la maçonnerie "régulière "- à laquelle je n'appartiens pas, je le rappelle - a sa place légitime, il ne faut surtout pas se leurrer, ni jouer avec les mots, ni se payer d'illusions. La maçonnerie anglo-saxonne est un bloc, avec une parfaite cohérence intellectuelle et religieuse - ce qui n'empêche ni les nuances ni la diversité, mais ses "principes de base" sont sans équivoque. Feindre de l'ignorer tout en prétendant la rejoindre - fût-ce par "la main gauche" - est une voie sans issue.

Je ne suis pas "officiellement" reçu dans les loges anglaises, mais je ne peux oublier que méconnaître la franc-maçonnerie de tradition britannique, c'est se tout simplement se condamner à ne rien comprendre à la franc-maçonnerie en général.

Et, pourquoi ne pas le dire, ce spectacle de l'Annual Church Service de la Grande Loge Unie d'Angleterre, qui peut laisser incrédules ou choquer certains maçons français - et qui est d'ailleurs impensable en France, même dans la maçonnerie dite régulière ! - , me parait au contraire respectable et émouvant.

En tout cas, et au même titre que toute la maçonnerie anglaise en général, il mérite mieux que l’indifférence ou  l'hostilité, et encore moins la duplicité...

C'est la rentrée !

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Après un intermède estival que j’ai consacré, pour l’essentiel, à la rédaction – toujours en cours ! – des deux livres que je prépare, voici venu le temps de la reprise des blogs !

Comme le savent tous ceux et toutes celles qui me font le plaisir de lire les pages que je publie ici, ce lieu n’est pas consacré à l’actualité et je m’efforce de n’y jamais pénétrer, du moins directement. Seules des mises en cause à la fois stupides et mensongères, l’an passé, m’ont forcé à une mise au point. Qu’on la relise : je crains qu’elle n’ait été terriblement prémonitoire…

Je ne chercherai pas à qualifier les mouvements qui se sont produits au sein de « PMF » (Paysage Maçonnique Français pour les initiés…) depuis lors. Les faits, malheureusement, parlent d’eux-mêmes, mais c’est toujours avec la lunette d’un historien que je souhaite porter un rapide regard sur ce qui s’est passé et sur ce qui en résulte. Une fois encore, n’en déplaise à certaines puissances « impériales », je ne suis pas partie prenante dans ces conflits, mon « camp » n’est ni d’un côté, ni de l’autre. Non par prudence ou par pusillanimité, mais simplement par indifférence pour ces stratégies de conquête du « marché » qui se trouvent à des distances cosmiques de l’idée que je me fais de la franc-maçonnerie.

Retour vers le futur

Juste quelques observations : après deux ans de désordre annoncé, suite à des négociations et des projets engagés dans la confusion et les faux-semblants, par des porte-parole qui ne disaient pas à leurs mandants tout ce qu’ils pensaient et surtout ne pensaient pas tout ce qu’ils disaient à leurs interlocuteurs européens, la situation est redevenue presque « normale » : il y a une obédience « régulière et reconnue », comme depuis un siècle en France, et de l’autre les « non-reconnues », dont certaines se disent néanmoins régulières à leur façon et d’autres se moquent de mériter ou non ce qualificatif – un peu démonétisé à force de servir à tout le monde et à tout propos…

Et pourtant le paysage est légèrement différent, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, comme l’eût dit Verlaine. L’obédience régulière et reconnue (par Londres, les USA et la quasi-totalité de la maçonnerie « régulière » mondiale), quels que soient les obstacles ou les problèmes résiduels qui demeurent sur son chemin – et quelque chose me dit qu’il y en a encore quelques-uns – a rétabli son statu quo ante mais ses dignitaires comme les Frères qui la composent n’ont pas – du moins, pas encore ! – oublié ce qui s’est passé. Je crois que toute la communauté maçonnique française doit en tenir compte.

Certains – voire certaines – d’entre nous peuvent se reconnaître dans les principes de la maçonnerie « régulière » et d’autres pas vraiment, ou même pas du tout. L’important n’est pas là. Acceptons cette situation ancienne, non comme une fatalité regrettable mais comme un fait dont il faut tenir compte. Car rien ne sera plus tout à fait comme avant : la GLNF est de nouveau enclose dans les règles de la régularité anglo-saxonne, mais en vertu d’un choix conscient et libre. Ce n’est pas celui de beaucoup d’entre nous, mais au nom de quoi le contesterions-nous ? C’est celui de la quasi-totalité de la maçonnerie mondiale, à ce jour encore. Ce n’est pas un argument pour ou contre, c’est simplement un constat. Alors considérons la situation nouvelle : la GLNF respectera les règles auxquelles elle ne peut plus ne pas souscrire, mais je pense que la crise, douloureuse et violente, choquante pour tous les francs-maçons français, aura peut-être été en partie salutaire. Aujourd’hui, le dialogue fraternel est ouvert car l’épreuve rend parfois plus humble. La GLNF, tant que les obligations qui sont les siennes ne sont pas transgressées – en clair : admettre dans ses tenues des membres d’obédiences non reconnues par elle, ou prendre part à des tenues où ils (elles) se trouveraient – ne refuse plus ni le contact, ni même les collaborations dans le domaine culturel, historique, fraternel. Pour ma part, n’ayant pas la moindre intention de rejoindre ce « camp » – quel horrible mot ! –, je ne le considère pas comme un « camp ennemi » et je sais gré aux Frères de la GLNF des efforts qu’ils ont consentis – même si tout n’est pas achevé – et des gestes qu’ils ont accomplis. Que tous les thuriféraires, parfois péremptoires, de la « tolérance » et de la « liberté absolue de conscience » en prennent acte : c’est une bonne nouvelle.

Il reste que, depuis deux ans, bien des choses ont été dites et des jugements méprisants proférés par des dignitaires de tous bords, avec des déclarations absurdes et de navrantes démonstrations  de biceps, des rodomontades affligeantes, des controverses ridicules, des changements de pied invraisemblables et, en prime, conséquence logique de la légèreté – voire de la duplicité – de certains dirigeants, le spectacle consternant des insultes échangées anonymement sur le net par des Frères qui, bien souvent, manquent cruellement des informations essentielles qu’on leur a soigneusement cachées. Tout cela fait naître un goût amer au fond de la gorge. Cela va-t-il bientôt finir ?

On le sait, la fin de l’année sera marquée par les décisions que doit prendre la Grande Loge de France. Il doit être clair que, cette fois, les déclarations ambiguës, les équivoques sémantiques dont on a abusé depuis deux ans, les déclarations contradictoires, plus rien de tout cela ne passera. Mais, si l’on peut dire, j’ai le sentiment que la messe est déjà dite : qu’on me comprenne à demi-mot, le paysage maçonnique « régulier » n’est pas prêt de changer…et les Grandes Loges de Bâle ne sont certainement pas à la veille de quitter le monde de la régularité anglo-saxonne. Il faut abandonner cette ultime illusion regrettablement entretenue par certains « responsables » qui ne se conduisent guère mieux, en maçonnerie, que la plupart de nos « responsables » politiques !  La conséquence, quant à l’issue des choses, s’impose d’elle-même…

 

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Un emblème et une devise du REAA aux USA: les choses sont claires...

 

Regard d’histoire

Que tout cela soit une occasion de réfléchir sereinement sur les événements et de les situer, non pas dans la confusion de l’actualité chaude, mais dans la longue durée de l’histoire maçonnique française.

Pour des raisons qui tenaient à l’histoire politique, sociale et religieuse du pays, la France a développé au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle, un modèle maçonnique nouveau vers lequel elle a entrainé quelques autres pays : des pays latins pour l’essentiel, et même pas unanimement. Ce modèle, simplifiant la vision « initiatique » de la maçonnerie, voire la gommant délibérément, a fait une place majeure à la politique (que l’on a depuis lors pudiquement rebaptisée « préoccupation sociétale »). Toutes les obédiences de l’époque – c’est-à-dire deux : le Grand Orient de France, et le Suprême Conseil qui a donné naissance en 1894 à la Grande Loge de France, à l’initiative de Frères progressistes révoltés contre le pouvoir des hauts-grades – ont emprunté cette « voie substituée », comme disait l’inoubliable Jean Baylot, qui commença comme Grand Maître adjoint du Grand Orient et finit Grand Prieur du RER à la GLNF ! Cette communauté de vue était telle que, juste après la guerre, il fut sérieusement question de fusionner les deux obédiences…

Au début des années 1950, une évolution s’est produite, aussi bien au GODF qu’à la GLDF, n’ayons garde de l’oublier. Tandis que rue Cadet on commençait à revenir à des rituels plus substantiels, rue Puteaux on s’intéressait aux « Principes » de la maçonnerie anglo-saxonne. Les deux obédiences n’ont réellement commencé à diverger dans leurs approches qu’à partir de cette époque, et pas avant. L’une, le GODF, est resté sur « l’aile gauche », avec des poussées extrémistes de temps à autre – comme sous l’ahurissante grande maîtrise de Fred Zeller –, tandis que l’autre, la GLDF, a suivi un chemin lent, un peu cahoteux, souvent incertain, vers la « régularité » et la « tradition initiatique et spirituelle », sans jamais formuler clairement ce que tout cela voulait dire. Mais on n’échappe pas à son ADN. Celui de la GLDF n’est pas celui de la GLUA. La complexité du sujet se redouble ici avec le fait que la GLDF est entièrement dédiée au REAA – quand ses Grands Maîtres le disent, ils oublient généralement, et passent gentiment au rouleau compresseur, les quelques loges  qui y travaillent au RER, au Rite Français Traditionnel ou à Emulation…

Partout dans le monde, et notamment dans le monde anglo-saxon, le REAA n’est qu’un Rite de hauts grades qui commence théoriquement au 4ème grade – je n’arriverai jamais à utiliser le fâcheux anglicisme de « degré » pour traduire « degree » – mais en pratique seulement au 18ème auquel on est directement reçu après le grade de Maître. Les grades bleus sont soit ce que l’on nomme – abusivement – en France Emulation ou l’une de ses variantes, soit le Rite d’York qui en est assez proche. Au XVIIIème siècle, en France, les Frères qui possédaient des grades « écossais » travaillaient en loge bleue selon le Rite Moderne, qu’on nommera plus tard le Rite Français.

Mais surtout, aux USA comme en Grande-Bretagne, les Suprêmes Conseils n’ont aucune capacité d’agir à l’égard des Grandes Loges sur lesquelles elles sont fondées. Les choses vont même plus  loin : ce sont les Grandes Loges qui reconnaissent les juridictions de hauts grades, et pas l’inverse. Le mythe des « 33 grades  de l’Ecossisme », entretenu par ses textes fondateurs – eux-mêmes mythiques puisque grossièrement  antidatés – n’a jamais eu de réalité qu’en France, entre 1821, date de création réelle du Suprême Conseil de France actuel, et 1894, quand fut établie, sous la contrainte, la Grande Loge de France. Mais ce modèle unique, alors jamais vu ailleurs, et dont on mesure sans peine les inconvénients, n’a jamais déserté l’esprit des hauts dignitaires « écossais ». On voit aujourd’hui où cela mène.

Quand on dit : « Le REAA est le Rite le plus pratiqué au monde», on commet une lourde erreur – ou un gros mensonge – par omission : il faut ajouter, pour que ce soit vrai : « …dans les hauts grades ». Et tout le problème français est là.

 

 

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Une vision américaine des hauts grades :

un Knight Templar vaut un 33ème...

et tout repose sur le Rite d'York

 

Que des Frères – mais aussi des Sœurs, qui qu’en grogne dans le « REAA-qui-est-fait-pour-les-hommes » (sic) ! – s’accomplissent dans les grades bleus du REAA est une chose respectable en soi, elle n’appelle aucun commentaire. Mais que la volonté impérialiste de ce Rite, dont les plus « hauts gradés » considèrent volontiers, et enseignent à leurs adeptes, que c’est le seul Rite maçonnique digne de ce nom, ait conduit aux désordres qui ont pendant deux ans pollué l’atmosphère de la maçonnerie française, est une chose beaucoup moins acceptable.

Peut-être la solution – radicale mais logique – serait-elle de constituer un espace de « régularité écossaise », où les Frères et les Grandes Loges qui se reconnaissent exclusivement dans ce Rite, se parleraient d’eux-mêmes à eux-mêmes, sans être forcés de parler aux autres, en France comme à l’étranger ? Nul doute que la Grande Loge de France, par son indiscutable antériorité en ce domaine, et son Suprême Conseil, par l’ampleur de ses ambitions historiques, seraient conduits à y jouer un rôle majeur, voire prépondérant.

Juste une occasion d’appliquer ce principe de bon sens, valable dans tous les domaines de la vie de chacun d’entre nous : ne vaut-il pas mieux faire ce qu’on sait faire – et qu’on aime –, plutôt que de s’essayer à ce dont on est incapable – et en quoi on ne croit pas vraiment ?...

 


Ce qui est Ecossais n'est pas Ancien...

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Je n'ai pas pour habitude, comme je l'écrivais encore hier, de rentrer dans les "polémiques" que d'aucuns créent artificiellement, depuis deux ans, pour se donner une contenance et travailler à "l'unité maçonnique française"(sic). Je ne suis pas non plus le plumitif d'une Obédience plutôt que d'une autre - même pas de la mienne !...

Mais quand un aimable blogueur, un ami de longue date au demeurant, joue à l'historien de service - certains diraient : "un historien à nous" -, alors là, pardonnez-moi, mais mon sang d'universitaire ne fait qu'un tour ! Je veux bien qu'on défende toutes les positions philosophiques ou maçonniques, et cela m’indiffère totalement -"ça nourrit le débat", comme on dit aujourd'hui quand on ne sait plus quoi dire - , mais falsifier grossièrement l'histoire par incompétence et pour se mettre maladroitement au service d'une cause de politique maçonnique, c'est juste un peu trop.

 

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La plus ancienne maçonnerie bleue est celle des Modernes :  la seule qui ait été connue et pratiquée en France au XVIIIème siècle

 

De quoi s'agit-il ?

Il parait que les Rites Écossais d'avant la Révolution ne seraient pas des Rites "modernes" - entendons : des rites dont les loges bleues respectent le schéma de la plus ancienne maçonnerie attestée, celle de la Grande Loge de Londres, fondée en 1717, dite des "Modernes" par dérision - et par antiphrase ! - par les "Anciens" autoproclamés...qui venaient d'apparaitre, en 1751.  Voyons cela...

Bien, tout ce que nous venons de voir concerne l'Angleterre. Première constatation : jamais le Rite Ancien n'a été connu, de près ou de loin, en France avant 1804. Ça fait plaisir ou pas, mais c'est un fait.

Ensuite, oui, les Rites Écossais des loges bleues "écossaises" d'avant la Révolution étaient des variantes du Rite des Modernes. Tous les marqueurs y étaient : la position des Surveillants, l'ordre des mots J et B, l'existence du tableau au centre de la loge (inconnu des Anciens). La seule différence résidait dans le positionnement des "trois grands piliers" en lieu et place des "trois grands chandeliers" du Rite Moderne, mais cela n'a rien à voir avec les Anciens, d'une part et, ensuite...il suffit de relire ce post pour constater que le ternaire Sagesse-Force-Beauté a toujours été présent dans toutes les loges, y compris et notamment dans celles des Modernes, sous une forme un peu différente. (1)

Il n'y a malheureusement aucun doute : les Rites Écossais du XVIIIème siècle, en loge bleue, ne que sont que des variantes mineures du Rite Moderne.

Mais notre historien "amateur-à-nous" commet une autre confusion, encore plus énorme.

Il nous dit que les Frères des "hauts grades" portaient leurs décors du plus haut grade en loge bleue - ce qui fut souvent vrai - et semble penser que tous pratiquaient par conséquent en loge bleue un "Rite Écossais"...

Patatras... Il ne faut pas aventurer dans les sentiers que l'on ne connait pas. Au XVIIIème siècle les loges "bleues écossaises" sont apparues dans le dernier quart du siècle, elles ont été marginales, extrêmement minoritaires - et pour la plupart ont conclu des traités d'alliance avec le GODF avant de s'y intégrer au début du XIXème siècle. L'immense majorité des Frères qui, depuis la fin des années 1730, possédaient et pratiquaient des "hauts grades écossais" en France, pratiquaient en loge bleue le Rite Moderne (pas du tout écossais), celui que l’on nommera, au XIXème siècle, le Rite Français. Celui de Louis de Clermont ou de Morin. Et, à partir de 1773, celui du Grand Orient comme celui de la Grande Loge de Clermont...qui pratiquaient tous deux exactement les mêmes rituels ! (Oui, je sais : il y a des "dignitaires écossais" qui ont du mal à avaler cette pilule).

Que l'on me comprenne bien : contrairement à ce que disent ceux qui oublient de penser avant d'écrire, je me moque des petites querelles obédientielles et je souhaite aux Frères et aux Sœurs, "confédérés" ou non, de vivre la maçonnerie qu'ils aiment...à condition de ne pas empoisonner la vie des autres, ni de passer leur temps à leur faire la leçon. C'est fatigant et discourtois. Surtout pour dire des sottises...

Pour le reste, il y a bien encore, de nos jours, des adorateurs de la terre plate, pourquoi pas d'autre chose ? Le négationnisme maçonnique a encore de beaux jours devant lui....

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(1)  Je me permets de renvoyer, sur cette question sérieuse et complexe qui vaut mieux qu'un galimatias incohérent, au livre majeur de mon maître René Désaguliers, Les trois grands piliers de la franc-maçonnerie, Paris, 1963-2011 (2ème édition entièrement refondue par R. Dachez).

 

Petite histoire des rituels maçonniques "égyptiens" (2)

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Je reprends ici le fil interrompu par "l'actualité" d'une narration dont la première partie est ici.

 

4. L’ère Ambelain. 

Détenteur de multiples grades maçonniques dans plusieurs Rites (REAA, mais aussi RER et naturellement Rites égyptiens), mais aussi dans les traditions martinistes ou rosicruciennes, Robert Ambelain a conduit cette évolution à son sommet. Si son apport aux rituels des hauts grades n’est pas très original, on retiendra surtout ici sa refonte complète des rituels et des cérémonies des trois premiers – à partir d’un prétendu « manuscrit de 1824 » qui n’a jamais existé que dans son imagination fertile. Tous les rituels modernes des Rites égyptiens pour les grades symboliques en proviennent, avec d’inévitables variantes de détail.

Les rituels qui furent publiés suite à la décision du Convent international tenu à Paris en 1965 [1] marquent une rupture nette avec tous les rituels antérieurs des grades bleus, tant pour le Rite de Memphis que pour celui de Misraïm. Seul l’état de déshérence où se trouvaient les Rites égyptiens lorsque Robert Ambelain en reçut le dépôt de Charles Dupont, en 1960, a sans doute permis une reformulation aussi radicale. Rappelons encore une fois qu’au moment de leur premier essor, les Rites égyptiens apparurent comme des variations sur le Rite Écossais. Les rituels de la période « occultiste », évoquée précédemment, étaient presque toujours inspirés du REAA, sans doute considéré comme « plus initiatique » car les rituels du Rite Français alors disponibles étaient d’une assez grande pauvreté, surtout après les réformes intervenues entre 1887 et 1907 au GODF, notamment sous l’influence d’Amiable ou de Blatin.

 

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Robert Ambelain (1907-1997)

Une fascinante complexité...

 

Avec les rituels de Robert Ambelain, tout change. Le plan de la loge revient au schéma de base des « Modernes », c’est-à-dire au plus ancien schéma symbolique de la maçonnerie spéculative : celui de la première Grande Loge de 1717, qui est aussi celui du Rite Français – mais ce changement avait déjà été opéré par Marconis à partir de 1849 apparemment et semble avoir été assez généralement repris après lui. En revanche la disposition de chandeliers est bien celle des Rites Écossais du XVIIIème siècle (une variante du Rite Moderne) : nord-est, sud-est, sud-ouest. Mais c’est dans des détails plus discrets qu’une influence nouvelle se fait sentir : une chandelle apparait sur le plateau du Secrétaire, le Vénérable tient son épée pointe haute, le pommeau contre son plateau, certaines formules sont reprises dans l’invocation qui accompagne la chaine d’union. Il est facile de trouver la source de tous ces emprunts : c’est le RER !...

Détenteur de tous les grades de ce système maçonnique d’inspiration chrétienne et d’esprit mystique, lié à la tradition martiniste du XVIIIème siècle à laquelle il était lui-même très attaché, Ambelain y avait puisé les éléments essentiels de sa régénération des rituels égyptiens des trois premiers grades, au risque de méconnaître que certains aspects des rituels du RER n’ont de sens que dans le cadre très particulier de la doctrine qui imprègne ce régime maçonnique. [2] Ces emprunts demeurent du reste de portée limitée, les détails des cérémonies de réception aux trois premiers grades reprenant par ailleurs le schéma assez classique du REAA et ignorant les nombreuses spécificités des rituels rectifiés. Seul « l’Autel du Naos », si caractéristique de nos jours des loges de Rite Égyptien, laisse encore persister un lien avec les plus anciens rituels, ceux de 1820 et de 1839.

5. Le retour des grades égyptiens.

La question des hauts grades n’avait guère préoccupé Robert Ambelain, hormis le fait qu’il avait composé, en combinant des filiations maçonniques et autres (martinistes, martinésistes, rosicruciennes et gnostiques), une impressionnante pyramide de voies initiatiques et de grades. Pour l’essentiel, l’échelle égyptienne se limitait aux grades classiques du REAA (9ème, 14ème, 18ème, 30ème, 33ème)[3], si l’on met à part le 90ème et le 95ème (souvent qualifiés de « grades hermétiques ») – ainsi que le 66ème, sporadiquement conféré selon la formule établie par Bricaud. Ce schéma demeure à ce jour celui des principales obédiences égyptiennes.

C’est dire l’importance et la nouveauté considérable de la renaissance des grades spécifiquement égyptiens, survenue lors de la création en 1999 du Grand Ordre Égyptien du Grand Orient de France. S’appuyant sur l’échelle en 33 grades du Rite Primitif de Yarker, cette juridiction a procédé à une refonte majeure et à la réécriture soigneuse de quatre grades typiques de l’échelle égyptienne. Cette mutation constitue-t-elle un tournant majeur, appelé à influencer toute la communauté maçonnique égyptienne ? Seul l’avenir le dira. Système paradoxalement à la fois déjà ancien de près de deux siècles, et pourtant encore jeune, l’échelle des grades égyptiens connaîtra sans doute sur la forme comme sur le fond d’autres évolutions.

Gageons que l’histoire des rituels égyptiens, que nous avons esquissée ici, est donc loin d’être achevée.



[1]Rite ancien et primitif de Memphis-Misraïm. Cérémonies et rituels de la maçonnerie symbolique, présentés et commentés par Robert Ambelain, Paris, N. Bussière, 1967.

[2]Cf. R. Dachez, J.M. Pétillot, Le Rite Ecossais Rectifié, « Que-sais-je ? » n° 3885, PUF, 2010.

[3] Rappelons que la pratique du 4ème grade (Maître secret) comme grade d’entrée dans les hauts grades du REAA ne s’est généralisée en France qu’au cours des décennies récentes. La plupart des juridictions égyptiennes, qui en fait pratiquent le REAA, se sont généralement alignées sur cette position.

Une note en passant, sur "l'athée stupide et le libertin irréligieux"...

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Non, rassurez-vous, je n'ai pas l'intention de contribuer à mon tour à cet exercice de casuistique maçonnique, qui a fait couler tant d'encre inutile, et qui consiste à tenter de démontrer, après tant d'autres, que quand le Titre Ier des Constitutions de 1723 exclut "l'athée stupide et le libertin irréligieux", il n'interdit en fait nullement d'être...athée ou irréligieux !

Il y a des francs-maçons qui aiment manier le paradoxe jusqu'à l'absurde. Il ne sert à rien de tenter de les en dissuader. Mais, en réalité, où est le problème ?

Il tient en peu de mots : nombre de francs-maçons; "libéraux", "adogmatiques", "humanistes", "laïques", etc., toutes positions philosophiques et morales - voire religieuses : par exemple, je suis personnellement un protestant...libéral ! - parfaitement respectables au demeurant, doivent concilier l'inconciliable : fonder leur conviction agnostique et positiviste dans une tradition remontant à plus de trois siècles, laquelle s'origine dans un corpus biblique et s'est forgée dans un milieu unanimement chrétien et plus spécialement protestant...

La seule voie possible, disons-le clairement,  est alors la mauvaise foi (sans jeu de mots !) - plus ou moins délibérée - ou le négationnisme pur et simple. Il reste que les arguments et les contre-arguments s’échangent  à l'infini sans profit aucun. C'est un vrai dialogue de sourds.

On a beau souligner l'invraisemblance absolue d'une conception même vaguement déiste soutenue, dans un texte public, par un pasteur presbytérien (Anderson) et un ministre de l’Église d'Angleterre (Désaguliers) - le premier ayant laissé un violent pamphlet contre les "anti-trinitaires" et le second deux sermons théologiquement très sages -, il y a toujours des esprits pour nier les évidences et ignorer résolument les contextes historiques. On glosera à perte de vue sur "l'athée intelligent" qui s'oppose à "l'athée stupide" - lequel, nous fait-on finement observer, n'est d'ailleurs pas le "stupide athée": outre que cette inversion n'a aucun sens en anglais, cela voudrait-il dire qu'on peut aussi envisager un "libertin religieux" ?!...

Donc, ne discutons pas car cette voie, encore une fois, est sans issue.

Je veux simplement verser une pièce au dossier.

 

 

Anderson Frontispice double.jpg

 

Je répète régulièrement, dans des planches ou des conférences que je fais ici où là, que le travail d'un historien consiste souvent à lire des choses qui, dans 95% des cas, n'ont pas beaucoup d'intérêt, mais qui, parfois, apportent subitement des lumières sans pareille sur des situation obscures...parce que personne ne les a jamais vraiment lues. Ce qui nous occupe ici en est un bon exemple.

La querelle sur le Titre Ier renvoie, peu à prou, à celle du "vocable de Grand Architecte de l'Univers"...qui serait un symbole, déjà, pour Anderson et ses amis.

Malheureusement, le texte des Constitutions dit exactement le contraire. Ce vénérable volume compte 91 pages de texte et l'on pense pouvoir régler la question en citant une traduction française, parfois fautive ou tendancieuse, d'un passage de 11 lignes à la page 50...

Je propose, quant à moi, de TOUT LIRE. ce qui n'est pas facile car cet ouvrage est rédigé en anglais du XVIIIe siècle, et surtout dans un style assez exécrable, mais il suffit, pour apporter une petite pierre à la question "Que pensaient Anderson et Désaguliers du GADL'U ?", de se pencher sur la page 1 ! C'est le début de l'histoire de la maçonnerie - largement fabuleuse et légendaire - qui couvre les 48 premières pages du livre.

Voici ce qu'on y lit (ce sont les premières lignes !):

 

"Adam, notre premier parent, fut créé à l'image de Dieu, le Grand Architecte de l'Univers [...]" [1]

 

Ce n’est pas bouleversant, on s'y attendait, mais cela nous rappelle une chose simple : avant de se lancer dans des interprétations hasardeuses, lisons l'intégralité des sources. La découverte est stupéfiante de banalité : Anderson ainsi que Désaguliers étaient chrétiens, membres d'un clergé, croyaient en Dieu, et plaçaient Dieu - qu'ils nommaient en maçonnerie, comme beaucoup d'autres avant eux, le Grand Architecte - au sommet de "l’édifice maçonnique". La maçonnerie anglo-saxonne  (90% des effectifs mondiaux) n' a jamais varié sur ce point. Qu'on remise aussi toutes les pénibles digressions sur le sens de "Supreme Being" dans cette sphère maçonnique - et dans les Basic Principles notamment : c'est Dieu, Britanniques et Américains n'en doutent pas un instant.

Je me souviens qu'un jour, Brent Morris, un haut dignitaire du Suprême Conseil de la Juridiction Sud du Scottish Rite des USA, fin connaisseur de l’histoire de la maçonnerie - et membre de la loge Quatuor Coronati de Londres - me disait, alors que j'évoquais devant lui en souriant les contorsions intellectuelles de certains maçons français devant ces notions :

"Roger, I can't understand them. The question is very simple: do you believe in God ? YES or NO ?"

Qu'on ne se méprenne pas : je comprends et, pour ma part, j'admets parfaitement que des courants maçonniques aient évolué par rapport à ce schéma initial. Il n'y aucune honte à cela ! On peut l’expliquer et le justifier de mille manières. De même que l'on peut, avec autant de légitimité, comme je le fais moi-même à titre personnel, préférer une maçonnerie qui demeure fondée sur la foi en Dieu et désigne au travail maçonnique une perspective transcendante. Là n'est pas la question.

Mais n'essayons pas de réécrire l'histoire comme de mauvais élèves, parce que nous ne l'avons simplement  jamais sérieusement étudiée !

Et quelque chose me dit qu’en faisant de l'histoire, je n'ai pas abandonné certains faux débats - et certaines équivoques tragiques - qui, sur fond d'inculture maçonnique et de regrettables non-dits, ont cours dans le paysage maçonnique français depuis quelques mois...

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[1] Et plus loin, pp. 24-25, Jésus-Christ est qualifié de "MESSIE de Dieu, le Grand Architecte de l’Église"....

Un nouveau livre de Dominique Jardin

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Dominique Jardin vient de publier un nouvel ouvrage que je souhaite recommander à toutes et à tous : les mots "tradition", "ésotérisme", sont en effet des mots piégés que l'on emploie souvent, en franc-maçonnerie, à tort et à travers. L'abord rigoureux et méthodique de Dominique Jardin, éclairé des acquis des sciences humaines, de l'anthropologie et des sciences religieuses, lui-même bien formé à l'exigeante approche de l’École Pratique des Hautes Études, donne à voir ce domaine sous un jour très nouveau.

Il m'a fait l'amitié de me demander une préface. Je vous livre ici ce texte que vous retrouverez en tête de son ouvrage - mais ce sont les pages qui la suivent que je vous conseille surtout de lire !...

 

 

PREFACE

 

Après nous avoir conviés à un Voyage dans les tableaux de loge en 2011 et nous avoir introduits, en 2012, au Temple ésotérique des francs-maçons, Dominique Jardin nous propose à présent le troisième volet de ce que j’inclinerai à considérer comme un triptyque indissociable. Il en est, à divers égards, le couronnement et la synthèse ouverte et je suis très heureux de pouvoir, dans le cadre de cette préface, suggérer quelques vues et indiquer quelques perspectives de travail que ce livre permettra d’explorer plus avant.

Une observation générale de méthode s’impose ici en tout premier lieu : l’abondante littérature qui, en France singulièrement, s’attache à « l’ésotérisme maçonnique », souffre classiquement d’une double faiblesse.

La première tient au fait que la définition de l’ésotérisme qui sous-tend nombre d’ouvrages s’apparente surtout au sens faible de ce mot, qui en fait un vocable dévalué, devenu un véritable fourre-tout conceptuel, situation fâcheuse dont témoigne le rangement que lui appliquent les libraires des grandes surfaces spécialisées, entre les livres consacrés aux OVNI et les innombrables opuscules portant sur les arts divinatoires : inquiétant voisinage, mais ô combien révélateur…

L’heureux a priori méthodologique de Dominique Jardin consiste à rattacher de nouveau ce champ d’études à l’approche académique du concept, dans le sillage, aujourd’hui impossible à ignorer, tracé par Antoine Faivre et ses études véritablement fondatrices depuis une quarantaine d’années. L’ésotérisme, en effet, n’est pas un corps de doctrine, une sorte de « science secrète » aux contenus d’autant plus incertains qu’ils apparaissent excessivement variables mais, pour reprendre une expression due à Jean-Pierre Laurant, un « regard » différent posé sur le monde [1]. L’ésotérisme maçonnique n’est donc que secondairement maçonnique, il est avant tout structuré par ce regard qui s’est constitué en Europe à la fin du XVème siècle. Ainsi l’ésotérisme – qui n’est qu’une des dimensions possibles de l’univers maçonnique mais ne le résume ni ne l’épuise [2]– appartient au vaste domaine des études philosophiques et  théologiques, et aussi des expériences mystiques qui ont imprégné la trame de la pensée occidentale, dans le champ religieux comme dans le champ scientifique alors naissant, entre le XVIème et le XVIIIème siècle. En d’autres termes, il s’agit bien ici d’intégrer la pensée maçonnique à l’histoire culturelle de l’Europe.

La deuxième faiblesse de la « littérature » maçonnique tient à sa méconnaissance très habituelle de la distinction pourtant essentielle entre l’emic et l’etic.

Initialement empruntée aux études linguistiques, cette alternative de consonance bizarre est aujourd’hui largement utilisée dans le champ des sciences humaines. Eclairons-là en quelques mots – fût-ce au risque de la schématiser un peu.

La perspective emic est celle qui tente de comprendre « de l’intérieur » une démarche, une activité, un comportement, un code. C’est la langue qu’on parle, quand on est un locuteur naturel de cette langue ; le rite qu’on accomplit quand on ne s’interroge pas sur une tradition venue « du fond des temps » et qu’on met simplement en œuvre ; le geste qui s’impose à nous dans une situation émotionnelle donnée et qui nous a été léguée par notre éducation et fait partie de notre « schéma corporel ».  C’est, en quelque sorte, la vie saisie dans la spontanéité de son déroulement.

La perspective etic, c’est « l’arrêt sur image ». Le cliché ou l’enregistrement pris par l’ethnographe, document désormais pétrifié – pour le bon motif – et qui devient objet d’étude, s’offre à la déconstruction, à la comparaison distanciée, à l’analyse structurale. Elle n’abolit pas la vie (l’emic) mais elle lui adjoint une grille d’interprétation possible, détachée de tout a priori.

On voit quelle application nous pouvons en faire : le travail en loge, c’est l’emic de la franc-maçonnerie, et la maçonnologie sera son etic. Refuser de reconnaitre l’intérêt d’une approche distanciée de l’enseignement maçonnique au motif qu’on ne l’a pas « vécu de l’intérieur », objection sympathique mais niaise, revient tout simplement  à s’interdire toute connaissance significative des religions et des cultures du monde, c’est-à-dire à disqualifier tous les acquis de l’ethnographie, de l’anthropologie culturelle et de la science comparée des religions depuis plus d’un siècle : on voit à quelle absurdité conduit une telle position…

Dès lors qu’il s’est affranchi de ces deux limites – ignorer l’histoire culturelle et répudier la réflexion au nom de  la vie – Dominique Jardin nous fait découvrir deux pièges dans lesquels le discours maçonnique en général, et celui qui porte sur l’ésotérisme maçonnique en particulier, n’est que trop souvent tombé.

Le premier piège consiste à penser que la « tradition » maçonnique – et la connotation ésotérique qu’on lui assigne – s’origine à un passé réellement situé dans l’histoire et s’est trouvée dotée jusqu’à nous d’une structure intangible et pérenne. A cette vision essentialiste, qui conduit aux pires impasses, Dominique Jardin substitue une démarche historienne qui n’est aucunement réductrice. Il pose, avec toute une école qui a produit des travaux d’une fécondité remarquable depuis quelques décennies, que la tradition a en effet une histoire.

C’est donc en termes d’emprunts, d’ajouts et de perfectionnements successifs, bien plus que transmission intacte et de filiation ininterrompue, qu’il convient de rechercher les raisons de l’état final de ce que nous nommons commodément  – mais parfois trompeusement –  la « tradition maçonnique ». La franc-maçonnerie spéculative a été un monde en genèse pendant environ 150 ans, si l’on admet des bornes larges qui la font surgir au milieu du XVIIème siècle et en situent l’achèvement relatif à la fin du Siècle des Lumières. La déconstruction méthodique de Dominique Jardin ne détruit donc pas l’édifice mais en fait simplement réapparaitre la dynamique de constitution. Un travail collectif, sans plan concerté et qui, du reste, n’est peut-être pas terminé

Car le deuxième piège consiste justement à essentialiser encore, cette fois non plus seulement la « tradition maçonnique » en elle-même, mais ce que chacun en a reçu, ici et maintenant, au sein du monde maçonnique complexe et pluriel dont l’histoire nous a faits les cohéritiers. En d’autres termes, rien n’est plus dangereux, ni surtout plus erroné, que d’envisager  la tradition maçonnique à l’aune seule du Rite particulier au travers duquel nous y avons eu accès. Seule est féconde l’approche comparatiste, qui scrute dans tous les Rites – dont chacun est en soi une somme parmi d’autres possibles – les reliefs d’une tradition perdue, par nature inaccessible et nécessairement fantasmée, dont chaque Rite est plus ou moins le dépositaire, mais toujours au terme d’un « tri », pour reprendre l’heureuse expression de Dominique Jardin. Un tri qui donne cohérence à chaque système qui, cependant, n’est vrai qu’en ce qu’il affirme et demeure faux en ce qu’il nie ou méconnait simplement.

Pour ne donner ici qu’un exemple de ce dont les deux ouvrages précédents de Dominique Jardin ont fourni une éclatante démonstration iconographique et que l’étude des événements et des structures de la maçonnerie au XVIIIème siècle confirme sans peine, quand comprendra-t-on que le mot « écossisme » ne désigne aucune tradition maçonnique particulière, et encore moins un Rite parmi les autres, mais la culture commune, indivise, foisonnante et unanimement partagée des hauts grades maçonniques, en France comme en Grande-Bretagne – et, dans ce dernier cas, bien davantage en Angleterre qu’en Écosse, du reste ! – entre les années 1730 et la fin du Siècle des Lumières ? Quand prendra-t-on conscience – ou aura-t-on l’honnêteté d’admettre enfin – que les trois Rites commodément retenus par Dominique Jardin pour ordonner ses comparaisons, à savoir le Rite Français –  qu’on ne nommera ainsi qu’au début du XIXème siècle mais existait depuis bien plus longtemps –, le Rite Ecossais Ancien et Accepté – qui ne se constitue comme tel qu’à la même époque, précisément – et le Rite Ecossais Rectifié – qui, pour le coup, mérite d’être tenu pour le plus ancien, puisque déjà achevé dans le dernier quart du XVIIIème siècle –  sont tous des « écossismes » ?...

Éviter ces deux pièges ouvre aux études maçonnologiques – et donc aussi au « vécu » maçonnique qui doit s’en nourrir – des territoires jusque-là, sinon inexplorés, du moins largement méconnus. A divers égards, Dominique Jardin en aura été le défricheur.

Reste un dernier point que je voudrais mentionner. De même que je pense avoir été l’un des premiers en France à souligner combien la notion de « tradition inventée », forgée par Hobsbawm permettait d’éclairer puissamment la nature essentielle de la franc-maçonnerie, de même, il faut être reconnaissant à Dominique Jardin de s’être emparé du très fructueux concept de religio duplex proposé récemment par Jan Assmann, dans un livre magnifique. C’est, me semble-t-il, la clé qui rend possible une approche intelligente – et non plus à coups de postures – de la question si délicate en France des relations entre la pensée maçonnique et l’ordre religieux. Entre le négationnisme désespéré de certains – qui refusent de voir ce qui pourtant relève de l’évidence historique : à son origine, la franc-maçonnerie spéculative est chrétienne et elle en porte durablement les marques – et l’intégrisme paradoxal de ceux qui, par exemple, en viendraient à en faire une sorte de tiers-ordre catholique (à moins qu’il ne soit orthodoxe !), la lecture d’Assmann suggère, non une voie moyenne – la vérité n’est que rarement la demi-somme des erreurs opposées – , mais une voie différente.

On peut en effet qualifier l’influence des Lumières sur la franc-maçonnerie, comme on l’a souvent fait, en lui attribuant une certaine rationalité individualiste qui assurait la promotion d’un être enfin libre et détaché de ses conditionnements civils et religieux, et dont une maçonnerie de plus en plus « libérale » aurait été le vecteur idéal. On peut aussi, et la reprise de Dominique Jardin nous y invite, en faire une autre lecture : au crépuscule de leur siècle, les Lumières auraient insinué dans la franc-maçonnerie, idéalement formatée pour cette fin, le projet subtil d’une religion intérieure, dans une Europe encore unanimement chrétienne mais gagnée par le doute à l’égard des formulations dogmatiques et des particularismes ecclésiaux – ce qui, en première instance, rappelle singulièrement la réserve déjà exprimée par Anderson dans le Titre Ier des Constitutions de 1723, à l’égard des « confessions et dénominations ».

Il existe toutefois une différence essentielle entre le texte d’Anderson – souvent très mal compris par des lecteurs contemporains qui y projettent volontiers leurs propres enjeux et oublient le contexte de sa rédaction initiale – et le projet des Lumières, si du moins l’on suit Jan Assmann. Anderson ne prônait aucunement une religion naturelle, vaguement déiste, comme on le dit trop souvent. Les « confessions et dénominations qui aident à distinguer [les hommes] » sont à ses yeux incontournables, dans la pure tradition du communautarisme anglo-saxon, en grande partie toujours vivant, qui fait de l’appartenance religieuse l’une des composantes de l’identité sociale. Il souhaite simplement qu’on surmonte ces barrières, non qu’on les abolisse. En revanche, le religio duplex opère un subtil déplacement de la problématique : si la référence à une transcendance – nommée ou innommable – est toujours présente et ne saurait disparaitre aussi facilement, c’est à une intériorisation complète de la perspective religieuse, jusque-là exclusivement « ecclésiale », que nous sommes conviés. De même que le Temple de Salomon est idéalisé – « spiritualisé » dit déjà en 1688 John Bunyan, qui ne fut jamais franc-maçon –, de même l’édifice symbolique de la maçonnerie, à travers ses tableaux et ses rituels, nous propose un voyage intérieur qui, à la classique « fidélité » religieuse, substitue la quête intérieure. La franc-maçonnerie, vers la fin du XVIIIème siècle, en est ainsi devenue aux yeux de certains, pour un temps – celui de sa pleine maturité, avant celui d’une relative altération – l’un des lieux électifs. En cela du reste, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, la maçonnerie d’Anderson apparait nettement plus religieuse, au sens classique du terme, et celle de la fin du siècle beaucoup plus « initiatique ». Mais cette dernière, à son tour, dans un monde contemporain désormais fortement sécularisé, apparait de nouveau à certains d’entre nous comme fâcheusement teintée de marqueurs religieux – et elle l’est en effet…

Dans ce jeu de miroirs et de renvois incessants, Dominique Jardin inscrit son livre dans une vaste entreprise de décryptage scientifique – n’ayons pas peur des mots ! – de la franc-maçonnerie, évidemment très au-dessus des platitudes habituelles des « manuels de symbolisme » et des exégèses personnelles plus ou moins inspirées. Si cette approche suscite encore de la méfiance dans les milieux maçonniques les plus « traditionnels » –  ou qui se proclament tels – comment s’en étonner, mais aussi pourquoi s’en émouvoir ?

Pour paraphraser une formule célèbre, si un peu de maçonnologie semble éloigner de la maçonnerie, beaucoup y ramène, pour notre plus grand bonheur…

Roger Dachez

Président de l'Institut maçonnique de France

 


[1] J.-P. Laurant, Le regard ésotérique,  Paris, 2001.

[2] Je m’étais déjà attaché à en montrer le caractère problématique dans l’entrée « Freemasonry », in Dictionary of Gnosis and Western Esotericism (Dir. W. Hanegraaf, A. Faivre, R. van den Brock, J.-P. Brach),  2 vol., Leiden, 2003, 382-388.

De l’épée en loge

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L’histoire de l’introduction de l’épée dans le rituel maçonnique est une excellente illustration du fait que les usages maçonniques ne se comprennent bien souvent qu’en fonction du contexte culturel qui les a vus naître. Et ces contextes, dès le XVIIIe siècle, différaient beaucoup de part et d’autre de la Manche.

 

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En Grande-Bretagne, de nos jours encore, l’usage de l’épée est tout simplement prohibé en loge. Elle n’y fait jamais son apparition au cours d’une cérémonie quelconque et aucun Frère n’en porte une, ni à la main, ni au côté.

Une seule exception toutefois : lorsque le nouveau Vénérable, lors de l’installation annuelle du collège des Officiers, installe son Tuileur. En Angleterre notamment, cet Office est un « petit métier » de la franc-maçonnerie. Le Tuileur est réellement à l’extérieur de la loge et il y reste tout le temps. Il faut dire qu’il n’est pas membre de cette loge, à proprement parler. Il a été choisi pour exercer cette « garde extérieure » des travaux mais il appartient à une autre loge où il peut avoir ou non un Office quelconque. Pour son travail de Tuileur il perçoit du reste une rémunération et c’est souvent un complément de revenu pour des maçons retraités de condition modeste. Le jour de son installation, le Vénérable l’appelle par deux coups de maillet. Le Tuileur pénètre alors dans la loge avec son épée – il est le seul à en posséder une – et vient la poser sur le plateau du Vénérable qui lui remet le collier et le bijou de son Office et lui redonne aussitôt son épée. Le Tuileur sort pour reprendre son poste : les Frères ne verront plus d’épée en loge pendant un an…

 

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Un Tuileur anglais au XIXème siècle

 

Tout cela renvoie évidemment à un contexte historique bien précis : lorsque la franc-maçonnerie spéculative a fixé ses usages, au début du XVIIIe siècle, l’Angleterre sortait de près de 150 ans de guerres civiles, politiques et religieuses, qui avaient ensanglanté le pays. Avec l’établissement de la dynastie de Hanovre et l’échec des tentatives de restauration des Stuarts, le calme pouvait revenir. Les loges contribuèrent à cet esprit nouveau, ou du moins elles purent s’y inscrire. On insista sur le fait que les polémiques politiques et religieuses n’y auraient jamais droit de cité…et que l’épée, symbole des luttes fratricides que l’on ne voulait plus revoir, en serait bannie !

Lorsque la franc-maçonnerie franchit la Manche, il en fut tout différemment. En France la distance sociale entre les nobles et les roturiers se marquait notamment par le port de l’épée, réservée aux nobles – sauf pour les militaires de métier. Dans les plus anciennes divulgations maçonniques françaises, imprimées à partir de 1744, on indique explicitement que, dans le cadre idéal de la loge, et pour le temps de ses tenues, tous les Frères devenaient égaux. Mais on fit choix de l’égalité « par le haut ». On lit en effet, dans le Secret des francs-maçons : «  Entre les Frères, on ne regarde pas quant à la condition : tous sont réputés gentilshommes ». De ce fait, tous furent appelés à porter l’épée, qu’ils fussent nobles ou non « à l’extérieur » !

Dès 1737, on rapporte qu’à Paris l’usage de l’épée dans la loge du « Grand Maître » – le jacobite Derwentwater – avait ému les Frères parisiens dont certains s’étaient élevés contre cette « innovation ». C’en était une, assurément, mais elle fut pourtant rapidement adoptée par tous les maçons français, bien au-delà de Paris, car ces derniers purent lui donner une sens qui n’aurait pas été acceptable de l’autre côté de la Manche. Du coup, l’épée se chargea de significations nouvelles : ordinairement placée sur l’Évangile qu’on disposait sur le plateau du Vénérable, c’est sur cet ensemble que les candidats prêtaient leur serment. On leur indiquait alors que l’épée sur laquelle reposait leur main était aussi « un symbole de l’honneur ».

L’épée, rappel d’affrontements civils intolérables en Angleterre, était devenue en France le signe de l’égalité fondamentale de tous les maçons…

Vers la fin du XVIIIe siècle le Rite Écossais Rectifié (RER), le premier à formuler des rituels très précis et circonstanciés, stipulera que si tous les Frères portent l’épée, seuls les Maîtres la « manient ». On pourrait faire des remarques assez proches à propos de chapeau.

Au XIXe siècle, la symbolique sociale de l’épée étant en recul – sauf rare exception, nul ne se promenait plus une arme au côté sous la Restauration ! – son usage devint de plus en plus limité en maçonnerie. L’épée ne restera plus que l’apanage de certains Officiers et ne sera utilisée  par les Frères que dans des cas très particuliers – par exemple pour former une voûte d’acier » (un usage dont l'origine n'est d'ailleurs pas maçonnique mais purement militaire). On les dispensera finalement de la porter en permanence – mais de nos jours certaines loges, notamment au RER ou encore au Rite Français Traditionnel, ont rétabli le port constant de l’épée par tous les Frères.

Encore une fois, en maçonnerie plus que partout ailleurs, méfions des interprétations hâtives détachées d’un contexte fondateur...

 

 

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Louis XVI reçu à l’Hôtel de Ville de Paris "sous la voûte d'acier"....

 

Des figures masculines en maçonnerie...

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On en apprend tous les jours et, lorsqu’on déserte un moment les sinueuses mais paisibles allées de la recherche pour parcourir les gazettes - ce qu’il m’arrive de faire, je l’avoue -, on découvre des théories originales. L’une d’entre elles, récemment exposée par un Auteur, constate que « le rite [maçonnique] ne nous présente que des figures masculines » et qu’il en découle naturellement que la mixité en maçonnerie est un non-sens – bien que les Sœurs se voient décerner un hommage final.

Je veux souligner que mon ambition n'est pas d'aborder ici le sujet de fond, car cela suppose une discussion autrement plus sérieuse et plus approfondie. Mais dès cet instant, notre Auteur se prend déjà les pieds dans le tapis, si je puis dire, car de deux choses l’une : ou bien ce qu’il dit est vrai, et dans ce cas, non seulement la mixité est une coupable transgression, mais en outre les Sœurs qui font entre elles de la maçonnerie ne se livrent alors qu’à une regrettable et douteuse parodie, ou bien l’Auteur déraisonne gravement. C’est toute la question.

Ce n’est évidemment pas la première fois que l’on entend proférer des sornettes dans l’univers maçonnique. Malheureusement, cela n’atteint pas seulement les dignitaires – ce serait, du reste, le moins grave – mais également nombre de maçons.  Discuter ces absurdités ne mène généralement pas très loin car pour échanger utilement, il faut parler la même langue, celle de l’intelligence distanciée qui ne confond  pas la controverse courtoise et la polémique de réunion publique.

Mais, cette fois, surpris par la nouveauté de l’argument, je me suis quand même décidé à réfléchir un moment sur ce qu’il faut bien appeler une niaiserie.

« Tant qu’il y aura des hommes »…

La théorie de notre Auteur se heurte en effet à quelques obstacles.

Prenons, par exemple, la tradition chrétienne. Sa « figure » fondatrice, cruciale, est un homme – qui, cependant,  ne méprisait pas les femmes, chose plutôt rare en son temps. Cela veut-il dire que seuls les hommes peuvent être chrétiens et que cela est interdit aux femmes ? Que penser alors de l’accueil que Jésus fit à la Samaritaine, femme et hérétique ? Que songer aussi de ce que dit Paul – peu suspect de féminisme ! – dans Galates, 3, 28 : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni personne libre, il n'y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. »

Le même Paul, du reste, enseignait à tous les chrétiens, me semble-t-il, les trois vertus théologales : la Foi, l’Espérance et la Charité (ou l’Amour). L’iconographie postérieure unanime a toujours représenté ces trois vertus sous l’aspect de trois femmes : l’une portant la croix (la Foi), une autre soutenant une ancre (l’Espérance) et la troisième allaitant des enfants (la Charité). Ces trois femmes figurent du reste sur le tableau de loge au premier grade en Grande-Bretagne. Est-il possible d'en déduire que l’exercice de ces vertus est réservée aux femmes et que les hommes en seraient incapables ?

 

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Trois femmes figurent sur ce tableau de loge...anglais !

 

Si maintenant, du champ religieux, nous passons à celui de l’emblématique sociale et politique, une « figure féminine » se dresse immédiatement devant nous : Marianne, une femme puissante et souvent un peu dénudée – son sexe ne fait aucun doute ! Faut-il donc comprendre que seules les femmes sont à même de réaliser et de mettre en œuvre les valeurs de la République ?

Enfin, si nous revenons à la maçonnerie elle-même, rappelons-nous qu’un Rite  important – et qui m’est cher –, je veux parler du Rite Ecossais Rectifié (RER) a pour emblème central le Phénix et que le grade le plus révéré de toute la tradition maçonnique française du XVIIIe siècle, celui de Rose-Croix, place à son sommet l’image d’un Pélican. Si l’on suit notre Auteur, faut-il en conclure que ce Rite et ce grade sont réservés aux volatiles ?...

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Le Rose-Croix : un grade pour la volaille ?

On me pardonnera d’avoir mené à son terme, par une innocente dérision,  la logique absurde qui nous est proposée. Toutefois, cette proposition aberrante pose un problème  qu’il faut tenter de résoudre.

Passons-donc aux choses sérieuses.

Inculture et fétichisme

D’où provient l’erreur ? Au-delà, une fois encore, du fait que l"on soit éventuellement opposé à l''idée de mixité maçonnique, comment peut-on en arriver à une telle ineptie pour justifier cette opposition ? La source me parait double.

D’abord, c’est, une fois de plus, la formidable inculture maçonnique qui est un des fléaux les plus redoutables de la vie maçonnique en France – mais pas seulement, qu’on se rassure. Quand on s’enferme dans son Rite, dans sa loge, dans son Obédience, comme dans autant de bunkers intellectuels, sans chercher à savoir ce qui se passe ailleurs, dans le temps et l’espace de la maçonnerie, dans la profondeur de son passé et la diversité de son présent, on se condamne aux pires contresens. Si notre Auteur avait un peu effectué cette sorte de voyage, il saurait, par exemple, qu’une très importance cérémonie maçonnique de souche écossaise, qui a tous les caractères d’un grade, met le candidat en présence d’une haute « figure féminine » de la Bible : la Reine de Saba elle-même ! Cela n’empêche pas ladite cérémonie d’être pratiquée depuis un siècle et demi par des maçons britanniques encore peu enclins à la mixité en loge, il faut le reconnaitre. On pourrait du reste citer d’autres exemples.

 

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La Reine de Saba : une héroïne maçonnique outre-Manche

 

Mais plus fondamentalement, il s’agit d’une erreur touchant la nature même du symbolisme. Le symbolisme n’est pas le fétichisme et les symboles ne sont ni des totems ni des dieux païens. Si leur forme varie (signe, objets, être vivant humain ou animal), ils nous proposent toujours de surmonter les conditionnements culturels et historiques qui les ont vus naître – et les éclairent, cependant – pour atteindre à une région de l’esprit et du cœur où se résolvent toutes les oppositions irréductibles de notre monde : objet/être vivant, frère/étranger, animal/être humain, femme/homme. Le dessein du symbole est bien de nous conduire au-delà de lui-même et de son apparence.

Nous conduire vers ce point ultime où prennent sens toutes les questions communes à tous les êtres humains sans aucune distinction : d’où viens-je ?, qui suis-je ?, où vais-je ?, que dois-je faire ? Ce point oméga du parcours de l’esprit que, pour ma part – et je n’oblige personne à me suivre – je nomme Dieu, le Grand Architecte de l’Univers.

C’est évidemment un long et patient travail qui mérite mieux que des pirouettes et des entrechats. Il est clair que pour certains, il y a encore du pain sur la planche…

 

 

Deux livres pour les (courtes) vacances....

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Puisque certain(e)s d'entre vous vont peut-être prendre un repos de quelques jours, je vous conseille d'emporter deux livres dans vos bagages...

 

Le premier est celui de mon ami, vieux compagnon d'étude et de recherche depuis plus de vingt ans ans, Pierre Mollier. Avec Curiosités maçonniques, il nous invite à une déambulation improbable parmi les singularités, les histoires inimaginables que la maçonnerie, en trois siècles d'existence, a laissées sur son chemin.

De l'affaire Pincemaille, une ahurissante divulgation maçonnique en France dans les années 1760, aux rapports imprévus entre les fouriéristes et la franc-maçonnerie, en passant par le Convent des Philalèthes (1785, l'héraldique maçonnique et...la Légion d’honneur !...un trajet original en dix-sept chapitres qui se dégustent comme de petites gourmandises de l’érudition maçonnique, à la fois enrichissantes et parfois presque comiques.

 

 

Pierre est l'un des historiens les plus respectés du domaine maçonnique français. Sa probité de chercheur ne fait aucun doute - même si le produit de ses travaux vient à contredire parfois son sentiment propre. En cela, il n'est en effet "l'historien de personne", et la reconnaissance unanime dont il jouit sur le plan international, notamment de la part de l'érudition maçonnique anglo-saxonne, le prouve suffisamment.

J'en profite pour vous recommander son site, Rassembler ce qui est épars (http://pierremollier.wordpress.com)

Pierre Mollier signera son nouveau livre au 12ème Salon maçonnique du Livre, les 15 et 16 novembre prochain à Paris, sous l'égide de l'Institut Maçonnique de France, dans les locaux de la Fédération française du Droit Humain.

 

M'autorisera-t-on aussi un peu d'auto-promotion ? Alors, je vous signale un petit opus que je viens de publier chez Conform, comme premier volume de la nouvelle collection "Pollen maçonnique" : La chambre du Milieu.

Ne vous attendez pas à de pénibles considérations sur le "symbolisme" du troisième grade ni sur les subtilités de la tenue administrative d'une loge de Maitres  ! Je me suis efforcé d’illustrer, sur un sujet à la fois important et très mal connu, les apports de la méthode historico-critique - en lieu et place de ce que je nomme parfois malicieusement le "délire symbolico-maniaque".

 

 

Beaucoup de surprises à attendre, car la Chambre du Milieu n'est pas forcément ce que l'on pense. Je vous laisse le découvrir et vous livre en primeur l'Introduction du livre :

 

Une « Chambre introuvable »…

 

La « Chambre du Milieu » est, au sein de la franc-maçonnerie, l’un des premiers lieux singuliers que rencontre un franc-maçon, dans les premières années de sa carrière. Endroit familier du paysage maçonnique quotidien, la Chambre du Milieu est pourtant une illustre inconnue…

Son introduction dans la franc-maçonnerie spéculative n’est pas séparable des conditions dans lesquelles le grade de Maître en est venu à se distinguer des deux autres grades « symboliques », dans les années 1725-1730, en Angleterre. Point n’est donc besoin, pour en définir l’origine, de recourir, comme tant d’auteurs maçonniques aventureux, à « l’Invariable Milieu » de la tradition chinoise, ou au « juste milieu » de la sagesse des peuples ! On ne remonte pas à la signification première des symboles et des rites maçonniques en usant de rapprochements phonétiques approximatifs et d’improbables étymologies lacaniennes...

La nature même de cette Chambre est aujourd’hui obscure pour nombre de francs-maçons : est-ce le lieu où l’on reçoit rituellement les Maîtres, ou le simple rassemblement administratif de ces derniers lorsqu’ils traitent des principaux problèmes d’une loge – ou les deux ? Est-on encore dans la Chambre du Milieu lorsqu’on se penche sur les troublantes énigmes d’un règlement général ou que l’on débat du taux de la cotisation ? « Mes Frères, mes Sœurs, l’heure est grave : faisons une Chambre du Milieu » !

A force de ne plus très bien savoir de quoi l’on parle – ni où l’on parle – on court grandement le risque d’employer un mot ou une expression à tort et à travers. C’est par ce jeu de méprises successives et de contre-emplois que le contenu même de la franc-maçonnerie en vient à ne plus vouloir dire grand-chose.

Or, il ne faut pas méconnaître que l’apparition – tardive – de la Chambre du Milieu marque un tournant essentiel de la franc-maçonnerie symbolique, à la fois sur le plan historique – elle traduit la constitution d’un système définitif en trois grades – et sur le plan initiatique : avec elle, c’est tout l’édifice traditionnel de la franc-maçonnerie qui a pris un sens radicalement nouveau. En replaçant nos pas dans ceux de nos devanciers, nos Frères anglais du début du XVIIIème siècle qui ont conçu cette architecture et nous l’ont léguée, nous allons faire, chemin faisant,  des découvertes assez surprenantes. A commencer par celle-ci : en Angleterre, depuis son origine et jusqu’à nos jours, la Chambre du Milieu n’a jamais été – et n’est toujours pas – au troisième grade, mais au deuxième : c’est là qu’est reçu un Compagnon ! Ou celle-ci encore : il n’y a  pas une seule Chambre du Milieu, mais en réalité il y en a deux…

Mon but, dans ce petit ouvrage, n’est donc pas de proposer une « savante » et pénible exégèse de la Chambre du Milieu, mais de fournir à tous les francs-maçons curieux des éléments pour comprendre.  D’un siècle à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un Rite à l’autre, j’aimerais ainsi leur fournir un guide pour aller à la recherche de cette « Chambre introuvable »…


 


La Charité maçonnique ?

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C’est Paul qui, le premier, dans son inoubliable Epitre (ICorinthiens 13, 13) énonce ce ternaire essentiel à toute la pensée chrétienne, ce que la tradition postérieure nommera les trois vertus théologales : foi, espérance, et charité.

Le dernier mot est aujourd’hui dévalué aux yeux de beaucoup et c’est sans doute pourquoi les traductions récentes ont remplacé le mot « charité » (lat. caritas) par celui « d’amour » qui tend à traduire plus justement le mot grec d’origine (car les Evangiles ont été rédigés en grec, ne l’oublions pas !), à savoir agapè.

Le mot agapè est utilisé pour la première fois par Paul, justement, pour désigner cette forme d’amour qui n’est ni l’amour sensuel, charnel (eros), ni l’amitié (philia). L’agapè, l’amour fraternel qui introduit entre les êtres une communauté spirituelle, une fraternité de l’âme et de l’esprit.

Mais cette substitution est souvent ignorée par ceux qui, éloignés de toute tradition religieuse, oubliés des subtilités textuelles des Ecritures, ne voient le mot « charité » que sous sa caricature : tout un vieux passé ressurgit alors, fait de bienveillance paternaliste sur fond d’ouvroirs paroissiaux ou des dames patronnesses « font la charité » à de « dignes pauvres » et maintiennent par cette sollicitude jugée suspecte une distance sociale et surtout un état de sujétion qui préserve la place des riches et celle des pauvres…

Tout n’est pas faux dans ce portrait à charge, au demeurant. On préfère aujourd’hui, notamment dans certains milieux maçonniques « adogmatiques », le mot de « solidarité ». C’est du reste devenu un des lieux communs du discours politiquement correct. C’est aussi un très joli mot, puissant et généreux. Mais on pardonnera, je l'espère, au maçon chrétien que je suis, de lui préférer encore le mot amour…

L’agape, en souvenir de celle, fondamentale, qui réunit pour un banquet éternel le Christ et ses Apôtres, est une notion familière aux francs-maçons : elle fut introduite par le grade de Rose-Croix qui, précisément, célèbre à la fois les trois vertus théologales et évoque la Cène pascale…

 

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Il est de très nombreux pays dans le monde ou la franc-maçonnerie n’a pas pour vocation essentielle et fondamentale de « changer le monde », de réformer la société ou de disserter sur l’avenir de l’éducation ou de la protection sociale – tous sujets importants pour tout citoyen et qui méritent en effet une attention soutenue. Pour la très grande majorité des francs-maçons de la planète, outre sa vocation initiatique et morale, la maçonnerie a pour « face visible », la charité…

Les Charities, c’est-à-dire les organisations de bienfaisance satellites des Grandes Loges ont, notamment dans le monde anglo-saxon, une importance considérable. Des sommes énormes y sont collectées chaque année pour soutenir des fondations de recherche, des hôpitaux, des associations caritatives aux spécialisations diverses – car la détresse humaine est en effet d’une variété infinie. Les francs-maçons anglo-saxons organisent volontiers des Charity Dinners au cours desquels en « surpayant » volontairement l’assiette que l’on vous présente, on donne des fonds pour financer ces actions concrètes.

La condescendance dont témoignent parfois certains maçons français « engagés », à l’égard des maçonneries anglo-saxonnes « qui ne travaillent pas », qui « ne font que du rituel », a quelque chose d’assez consternant. Outre que c’est une vision très simpliste de la réelle complexité de ce monde qu’ils ignorent en fait, c’est surtout faire bon marché de cet engagement coûteux et volontaire pour diminuer effectivement – et pas seulement en énonçant de grands principes – les souffrances humaines et dont les francs-maçons, dans de très nombreux pays, tirent une légitime fierté.

 

 

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La Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra (GLTSO) est, à ma connaissance, la seule organisation maçonnique en France à susciter ce genre de manifestation. Son prochain Gala de Charité– le mot n’a pas été évité ! – aura lieu à Paris le vendredi 14 novembre prochain. Je ne saurais trop recommander à ceux et celles d’entre vous qui sont sensibles, surtout par les temps qui courent, à cette aspect de la vie maçonnique, de s’inscrire non seulement pour passer en fraternelle compagnie une joyeuse et sympathique soirée, mais aussi pour faire en sorte que leurs réjouissances d’un soir aide à soulager des souffrances réelles. La GLTSO soutient notamment la Chaine de l’Espoir, une organisation médicale qui permet à des enfants porteurs de graves malformations cardiaques et qui résident dans des pays où les moyens chirurgicaux font cruellement défaut, d’être gratuitement pris en charge et soignés.

 

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Mes Sœurs et mes Frères en vos grades et qualité, après cette belle planche, j’ai dit…

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Voici, en quelque sorte un compendium d’expressions maçonniques bien typées !...

C’est du moins ce que l’on pourrait croire. Il n’en est pourtant rien : les formules « en vos grades et  qualités », « planche » et « j’ai dit », ont chacune une origine extérieure à la maçonnerie et elles n’y ont été introduites – en France et pas ailleurs, soulignons-le encore une fois – que très tardivement, soit progressivement depuis a fin du XIXème siècle, et encore…

« En vos grades et qualités »

On chercherait vainement cette expression dans des textes ou des rituels maçonniques du XVIIIème et même encore au XIXème siècle : elle n’y figure nulle part. Mais alors, d’où vient-elle, et que fait-elle dans le discours maçonniques au point que l’on en soit venu si souvent à penser que ce sont les francs-maçons qui ont inventé cette formule protocolaire ?

Ladite formule comporte du reste des variantes : « grades, dignités et fonctions », etc. Tour cela est en effet bien connu et assez classique, mais pas dans la franc-maçonnerie : c’est un lieu commun de la phraséologie des discours administratifs, des prises de paroles officielles de la haute fonction publique.

 

 

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En vos grades, fonctions et échelons...

 

En effet, dans la fonction publique, on distingue les grades, les qualités et les fonctions (ou titres).

Le grade permet à son titulaire d'occuper un certain nombre d'emplois. Les corps ou cadres d'emplois ont un ou plusieurs grades selon leur statut particulier. Lorsqu'il y a plusieurs grades, ils sont hiérarchisés. Le grade comprend des échelon d’ancienneté, de niveau de recrutement et, accessoirement, recoupent des types de rémunération. On parle aussi, plus récemment de « catégorie » ou de  « rang ». Ainsi, on peut être fonctionnaire du rang A, B ou C, du 1er au 13èmeéchelon par exemple, et l’on peut posséder le grade «secrétaire administratif de classe normale » ou de « chef de service ingénieur de 1ère catégorie ».

On peut, par ailleurs, posséder le titre de magistrat, ou exercer la fonction de praticien hospitalier – qui comprend plusieurs grades et échelons.

Il suffit donc de taper sur Google les mots « grades, qualités, fonctions » pour voir apparaître une liste impressionnante de discours publics au cours desquels ces formules sont utilisées par des responsables de services, des directeur d’administration lorsqu’ils s’adressent à leurs interlocuteurs : la plupart de ces orateurs d’un jour, ne nous y trompons pas, ne sont pas francs-maçons, et sans doute certains d’entre vous reprocheraient-ils amèrement de l’avoir supposé !

On doit, selon un rituel protocolaire, citer tous les présents dans l’ordre hiérarchique puis, quand on estime possible de ne pas mentionner en détail tous les autres, on dit « et vous tous, Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités et fonctions »…

Une fois de plus, la franc-maçonnerie  a emprunté ! Cette fois au protocole administratif, ce qui se comprend aisément si l’on sait l’importance des fonctionnaires, y compris des hauts fonctionnaires, des magistrats et universitaires, dans les rangs de la franc-maçonnerie, à partir du XIXème siècle. Les habitudes de langage de leur corps d’origine ont été simplement transférées dans les discours maçonniques. Au passage, et cela explique aussi beaucoup de comportements dans les « institutions » maçonniques, on a eu plus ou moins tendance à considérer la maçonnerie comme une annexe des institutions de l’État, et son organigramme comme une grille hiérarchique : suivez mon regard… 

« Une belle planche »

Voilà encore une belle expression…de source rigoureusement non maçonnique !

Certes, la tentation est grande de confondre la « planche » que l’on délivre devant les membres de sa loge, et la « planche tracée », symbole particulier du Maître. La similitude des mots est cependant ici trompeuse.

 

 

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Une bonne vieille "planche"...

 

Le mot « plancher », pour désigner le fait de parler sur un sujet devant un auditoire, est empruntée à l’argot scolaire de la fin du XIXème siècle. A cette époque, les examens oraux étaient beaucoup plus répandus, plus solennels et plus redoutés que de nos jours. On allait au tableau noir – car ils étaient toujours noirs – pour parler et, le cas échéant, s’aider de figures, de schémas tracés à la craie. Or, dans le vocabulaire des lycées et collèges, le tableau noir se nommait « planche ». D’où l’expression « plancher » ! Elle est née, sans l’ombre d’un doute, en dehors du contexte maçonnique. Mais, là encore, la sociologie historique de la franc-maçonnerie explique les choses : tout au long de la IIIème République – car c’est moins vrai de nos jours –, nombre de professeurs d’Université et d’enseignants en général, peuplaient les loges, au point de fournir l’essentiel des dignitaires obédientiels – en concurrence presque exclusive avec les médecins et les avocats. Là encore, ils ont eu naturellement tendance à faire passer leurs expressions favorites dans le vie des loges : comme les discours qu’ils y tenaient avaient souvent aussi peu de rapport avec la maçonnerie elle-même que les exposés savants qu’ils faisaient dans leurs cours ou lors des examens qu’ils faisaient passer  à leurs élèves, la transition fut encore plus naturelle…

« J’ai dit ! »

Quelle « mâle » expression qui fait bien sentir que les propos tenus ont été mesurés, choisis, et qu’il n’y a (presque) plus rien à y ajouter…

Mais ce n’est pas la maçonnerie qui a inventé cette formule « lapidaire » apparue dans les loges il y a sans doute moins d’un siècle. C’est la traduction française de l’expression latine « Dixi » (« J’ai dit »), une formule conclusive que l’on retrouve dans d’innombrables discours latins. Les orateurs romains signifiaient ainsi que leur longue dissertation était achevée. Au XIXème siècle, on trouve dans la littérature française de nombreuse occurrences de cette expression, dans des contextes qui n’ont évidemment rien de maçonnique et qui, le plus souvent, ont une connotation vaguement ironique. Ainsi, par exemple : « En foi de quoi, messieurs les jurés, livrez-moi lestement cette scélérate au bourreau, et vous ferez acte de citoyens vertueux, indépendants, fermes et éclairés…Dixi ! » — (Eugène Sue, Les Mystères de Paris, 1842-1843).

 

 

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 Cicéron devant Catilina : "Dixi !"

 

Les professeurs de lettres, les agrégés de lettres classiques – il y en avait encore ! –, les latinistes étaient bien plus répandus dans les loges, voici quelques décennies, que de nos jours – et que dire des hellénistes ! Les Frères qui possédaient cette culture ont trouvé approprié de reprendre cette vieille formule des grands orateurs antiques, pour conclure des discours en loge dont l’élévation n’était sans doute pas toujours la même, mais l’effet solennel de ces quelques mots est encore presque intact.

Un mot pour conclure ?

Une fois encore, une fois de plus, ne limitons pas notre regard, ni à la franc-maçonnerie française – une exception, du reste brillante, dans le monde – ni à la franc-maçonnerie tout court : pendant tout le XIXème siècle et le début du XXème, elle avait un caractère beaucoup plus public que de nos jours et les plus grands esprits, mais aussi les plus hauts responsables du pays, prenaient part à ses débats – et, pour ma part, je ne regrette pas que ces derniers l’aient à présent presque entièrement désertée –, c’est donc de leur culture, une culture sociale et mondaine, que la maçonnerie a hérité des usages qu’elle érige parfois en traditions immémoriales.

Il y a une tradition propre à la franc-maçonnerie, elle mérite toute notre attention et notre respect. Cette culture est enracinée dans un fond historique qui remonte à l’Europe du XVIème siècle au moins, dans son héritage intellectuel et religieux. C’est là que se situe le nucleus fondamental de la franc-maçonnerie, et pas dans les hasardeux vagabondages que lui ont inspirés, en France, depuis plus d’un siècle, la fréquentation parfois trop assidue des pouvoirs, quels qu’ils soient, et des milieux  politiques, toutes tendances confondues. Le cœur de la maçonnerie n’est pas là, c’est du moins ma conviction essentielle, que je souhaite partager sans prétendre l’imposer à qui ce soit.

J’espère, pour tout cela, ne pas me faire blackbouler– une expression, vous l’avez deviné, qui n’est pas non plus maçonnique…mais nous verrons cela une autre fois !

Mes Soeurs et mes Frères, en vos grades et qualités...(suite)

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On m’a signalé, suite à mon premier post sur ce sujet, que l’expression « dans tous vos grades et qualités », figurait dans un texte maçonnique tardif du XVIIIème siècle, le Recueil précieux de la Maçonnerie Adonhiramite, publié d’abord en 1781 puis plusieurs fois réédité, par Guillemain de St Victor, et je l’en remercie.

Cette référence ne m’avait pas échappé mais je n’en ai pas fait état car elle pose problème. Ce texte, souvent cité, est d’une nature particulière : outre qu’on ne sait pratiquement rien de son auteur, il ne s’agit ni d’un rituel « officiel », ni même d’un rituel dont on puisse affirmer qu’il a été mis en œuvre sous cette forme où que ce soit à son époque. C’est bien davantage une sorte de collage, de compilation personnelle, sans révélation très significative, reprenant, en les arrangeant, les adaptant, voire en les enrichissant au besoin, des textes alors déjà publiés au XVIIIème siècle – souvenons-nous, encore une fois, qu’il est très tardif.

Dans la partie relative aux travaux de table on y voit apparaître deux fois l’expression « dans tous vos grades et qualités ». Il s’agirait donc d’une attestation relativement ancienne. Mais cela nécessite deux observations :

  1. Cette expression existait déjà au XVIIIème siècle, là encore, comme je l’ai dit précédemment, dans le langage protocolaire, et donc en dehors de la maçonnerie. Elle aurait fort bien pu être empruntée dès cette époque.
  2. C’est cependant un hapax sur le plan maçonnique, c’est-à-dire une mention unique et isolée car, à ma connaissance, on ne la trouve à cette époque que chez Guillemain de St Victor, soit dans une source dont on ignore si elle a été utilisée sous cette forme dans de « vraies » loges à un moment quelconque. Il se peut fort bien qu’un jour un nouveau document vienne me démentir – ce sont les risques assumés de la recherche ! – mais il faut toujours, avant d’invoquer une source, évaluer de façon critique sa vraisemblance et sa pertinence…

En fait, il n’est pas impossible que beaucoup plus tard on soit allé exhumer ces mots dans ce texe et que les augustes fonctionnaires, qui vont littéralement peupler la franc-maçonnerie dans la deuxième moitié du XIXème siècle, y ait retrouvé une formule qui leur était par ailleurs tout à fait familière. En somme, une « divulgation » ancienne, dont certains éléments ont pu relever de la seule initiative de son auteur, aurait inspiré des usages plus tardifs ! Ce ne serait pas le première fois que cela se serait produit : en 1730, déjà, présentant le premier catéchisme très bien écrit des trois premiers grades, Samuel Prichard, dans Masonry Dissected, publié à Londres, connut un tel succès qu’en l’absence de rituel écrit et officiel à cette époque…il devient lui-même une source des usages maçonniques !

Il arrive donc que la maçonnerie se tende des pièges où elle tombe elle-même plus tard, croyant redécouvrir comme un usage immémorial des ajouts extérieurs qui lui étaient initialement étrangers…

 

PS J’en profite pour remercier tous ceux et toutes celles qui m’écrivent à l’occasion de la publication de mes posts. Ces échanges sont précieux et très intéressants pour moi. Que l’on m’excuse si je ne réponds pas à tous dans un temps très court, mais les messages sont nombreux. J’y puise surtout des idées pour de nouvelles notes…

REGULARITE ET RECONNAISSANCE : REFLEXIONS HISTORIQUES SUR UNE EQUIVOQUE MAÇONNIQUE

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Un ouvrage à venir, dont les « bonnes feuilles » ont été publiées sur un blog « ami », et dû à la plume inspirée (?) d’Alain Bernheim, cloue au pilori un certain nombre d’auteurs, dont votre serviteur, d’autres vivants mais aussi des morts qui n’échappent pas à la verve incendiaire de l’auteur. Attendons que l’ouvrage – déjà primé par la Grande Loge de France avant d’avoir paru (!), ce qui est assez original et en dit long – soit effectivement publié pour dire ce que l’on doit en penser. Je n’y manquerai pas, et avec moi tous les auteurs mis en cause, on s’en doute.

On peut en effet chercher, par légèreté, par duplicité ou par calcul, à tout rendre incompréhensible et douteux. En attendant, et sans verser dans la polémique acide et outrageante qui n’est pas mon style mais qui imprègne malheureusement, semble-t-il, le factum dont je viens de parler, voici quelques réflexions inspirées par une lecture sereine et intellectuellement honnête de l’histoire maçonnique. Elles ont pour ambition d'éclairer et non rendre confus les lecteurs. A chacun de s’en emparer librement et de les juger sans a priori.

 

Une fois de plus, les feux de l’actualité maçonnique relancent le débat sur la « régularité », question cent fois soulevée en France depuis des décennies, alimentant bien des fantasmes et autant de gesticulations oratoires.

L’objet de la présente note n’est pas de faire le tour d’un sujet infiniment plus complexe que ne le pensent certains, mais d’apporter à la réflexion commune quelques éléments objectifs, tirés de l’histoire, pour tenter de mieux comprendre les enjeux. Il semble en effet que les prises de position publiques des uns et des autres empruntent beaucoup plus souvent à l’art de la posture qu’à une analyse tant soit peu documentée de la question...

Des préliminaires équivoques

Or, avant d’être l’histoire d’une idée, l’histoire de la régularité est celle d’une équivoque.

Rappelons d’abord, pour planter le décor, la manière dont la régularité est le plus souvent présentée en France.

Il y aurait, d’un côté, les « Anglais » et ceux qui se rattachent à leur bannière, défendant une conception « déiste » – ou « dogmatique » – de la franc-maçonnerie, (voire, selon certains, une conception « mystique » ! ) et qui, de ce fait, imposeraient la croyance en Dieu comme « la base, la pierre angulaire, le ciment et la gloire de notre vieille confrérie », pour reprendre le mots d’Anderson qui, pour sa part, les appliquaient seulement à l’ amour fraternel…

Il y aurait, de l’autre côté, une maçonnerie française classique, en tout cas continentale et majoritaire sur cette rive de la Manche, libérale, progressiste et « adogmatique » par essence, profondément attachée à la liberté « absolue » de conscience – et même à l’origine de ce magnifique concept –, fièrement opposée au dogmatisme des Anglais.

D’un côté l’impérialisme spiritualiste, de l’autre la liberté philosophique : le choix serait donc simple et son issue déjà inscrite dans les termes mêmes qui l’exposent. Malheureusement, il s’agit-là d’une laborieuse caricature qui ignore ou méconnaît la montée en puissance d’une vision de la maçonnerie qui, en Grande Bretagne, ne s’est constituée que sur deux siècles au moins et qui surtout, pendant la même période, n’a pas sensiblement différé de celle qui prévalait en France.

Rappelons ici cette vérité élémentaire que l’histoire documentée établit sans aucune difficulté : du début du XVIIIème siècle au milieu du XIXème, aux particularités nationales près, touchant à la culture des peuples et à leur façon d’exprimer certaines choses, la franc-maçonnerie a partagé le même esprit et pratiquement les mêmes rituels des deux côtés de ce que nous nommons la Manche et que les Britanniques s’obstinent à appeler le British Channel. Opposer les deux, comme on pourrait opposer deux mondes inconciliables dès l’origine, est donc illusoire et tout simplement erroné. Mieux encore : si l’expression « liberté de conscience » a bien fait son apparition assez tôt dans le vocabulaire maçonnique, ce ne fut pas en France, où la notion n’eut que très tardivement dans le XIXème siècle une connotation maçonnique. La première mention qui en fut faite dans un texte maçonnique se trouve dans l’édition de 1738 – pas celle de 1723 ! – des Constitutions d’Anderson (cette version que l’on dit parfois « régressive » par rapport à la première) : James Anderson revendique pour tous cette liberté mais il entend aussi sous ce terme (liberty of conscience), comme on l’entend encore de nos jours dans les pays anglo-saxons, la liberté religieuse.[1]

 

 

 

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C'est là qu'on énonce la "liberté de conscience"...

 

Quant à la propagande présumée d’une certaine maçonnerie anglaise pour le « dogmatisme religieux » et ses prétendues obsessions « spiritualistes », il n’est que de lire les propos très récents de son Député Grand Maître – le n°3 de la Grande Loge Unie d’Angleterre – pour s’en faire quelque idée :

« Lorsque nous parlons de notre Pure et Ancienne Maçonnerie, nous devons être absolument clairs sur le fait que nous appartenons à une organisation laïque [secular], c’est-à-dire une organisation non-religieuse  […] La Franc-Maçonnerie, comme nous le savons tous, n’est ni un substitut de religion ni une alternative à la religion. Elle ne s’occupe certainement pas de spiritualité et ne possède aucun sacrement ; […] L’Ordre cherche à encourager les hommes à être loyaux envers leur pays, à respecter la loi, à s’efforcer au meilleur comportement, à prendre en considération ses relations avec les autres et à se rendre toujours plus utiles à leurs frères en humanité, en d’autres termes, à poursuivre une vie morale ».[2]

Qui ne souscrirait, en France, à un tel programme qui bannit toute spiritualité  « religieuse » comme étrangère au champ de la franc-maçonnerie? Qui récuserait cette affirmation de « laicité » ?

Mais nous sommes en Angleterre, où rien n’est simple. Jonathan Spence ajoute aussitôt :

« Cependant nous sommes une organisation laïque qui soutient la religion. La croyance en un Etre Suprême est une exigence absolue pour tous ses membres »…

« Laïque » et pourtant « religieuse » : telle est la franc-maçonnerie anglaise. On pourrait dire du franc-maçon anglais, comme les personnages de Montesquieu parlant d’Uzbek, dans les Lettres persanes : « Comment peut-on être ‘anglais’ [ou ‘persan’]? »…

Quittons donc les caricatures, les faux-semblants et les simplifications réductrices pour tenter de nous approcher d’une réalité complexe. Il faut faire ici une archéologie de la régularité.

Les premières mentions de la régularité.

Puisque tout a commencé en Angleterre – qu’on le veuille ou non –, voici près de trois siècles, c’est dans les plus anciens textes maçonniques de la première Grande Loge « de Londres et de Westminster », fondée en 1717, qu’il convient de rechercher les premiers éléments du débat.

L’émergence d’une Grande Loge prétendant à la suprématie sur toutes les loges « particulières », rapidement et suggestivement dénommées « loges subordonnées » (subordinate), ne se fit pas sans difficulté ! C’était une innovation de taille dans l’histoire du Métier. En témoignent les multiples essais de résistance qui s’observèrent dès le début : non seulement des loges qui refusèrent pendant longtemps de rejoindre le giron londonien, mais aussi d’autres, comme celle d’York, affirmant – sans preuve absolument convaincante – une lointaine ancienneté et s’érigeant dès 1725 en Grande Loge de toute l’Angleterre (Grand Lodge of All England at York) ! Bien sûr, on ne peut ignorer la grande querelle qui structura véritablement toute l’histoire maçonnique anglaise entre 1751 et 1813 : la querelle des Antients et des Moderns, opposant la première Grande Loge de 1717 à celle fondée à Londres par des émigrés d’origine irlandaise. La question de l’obédience maçonnique – au sens strict : «à qui obéit-on- ? » –  fut donc au centre de la vie maçonnique anglaise pendant tout le XVIIIème siècle et trouva son épilogue en 1813 avec la création de la Grande Loge Unie.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la première notion de régularité : au XVIIIème siècle, est régulière, en Angleterre, une loge qui se soumet à une Grande Loge…et qui lui paie ses capitations ! Du même coup, ses membres ont droit à la solidarité de cette Grande Loge, préoccupation maçonnique essentielle du temps, exprimée par la création chez les Modernes, dès 1724, du Comité de Charité.

« Regular », en anglais, veut dire avant tout ; « normal, habituel, classique ». On opposera très tôt aux loges « régulières » les loges « clandestines » (clandestine) : le reproche qu’on leur adressait n’était pas quelque différence philosophique ou religieuse, mais leur statut indépendant ou leurs origines incertaines. Il n’est alors jamais question d’autre chose.

En France, on qualifiera ainsi le Grand Maître Louis de Clermont de «  Grand Maître de toutes les loges régulières du Royaume » et une liste de celles-ci, reprenant cette formule, sera même publiée en novembre 1744. Le mot « régulier », sans doute en raison du contexte catholique, a dû prendre en France une connotation plus ou moins « monastique » – mais pas en Angleterre où les communautés monastiques avaient été dissoutes depuis 1536 : étaient régulières les loges qui, en France, se soumettaient à une « règle » : celle de la Grande Loge – c’est-à-dire, pendant longtemps, guère autre chose que l’entourage immédiat du Grand Maître se formant en une loge de Grands Officiers, dite « Grande Loge ».

 

 

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Le Grand Maitre de "tous les loges régulières" du Royaume

 

 

Résumons : aussi bien en France qu’en Angleterre, la régularité fut pendant longtemps une affaire purement administrative et ne concernait que les loges d’un pays donné par rapport à la ou les Grande(s) Loges(s) qui prétendai(en)t y exercer une autorité.

Les relations avec les autres pays

La question de la régularité, de nos jours, est pourtant avant tout une affaire de relations internationales entre Grandes Loges. Or, cette question a été évoqué très tôt, elle aussi, en des termes assez peu dramatiques, au demeurant. Ainsi, en 1738 encore, Anderson signale que depuis la création de 1717, des Grandes Loges ont vu le jour hors de l’Angleterre et il cite « les Loges d’Écosse, d’Irlande, de France et d’Italie » qui, « assumant leur indépendance, ont leur propres Grands Maîtres, bien qu’ayant les mêmes Constitutions, Devoirs et Règlements [que l’Angleterre][3].

On voit par conséquent que la question des relations internationales a commencé par un constat très pacifique.

On ne pouvait en effet mieux dire et c’était si vrai que l’article VIII des General Regulations de 1723 se trouve intégralement et fidèlement traduit dans l’article 16 des Règlements généraux adoptés à Paris le 11 décembre 1743, quand fut élu le Comte de Clermont :

« Si plusieurs maçons s’ingèrent de former une loge sans la permission du Grand Maître, les Loges régulières ne doivent point les soutenir ni les avouer pour des frères qui ont de l’honneur et qui sont dûment formés [en Loge] ».

Le terme « reconnaissance » (recognition) lui-même, pendant tout le XVIIIème siècle et une grande partie du XIXème, n’a guère concerné que le statut des Frères en particulier : étaient-ils reconnus par leur loge, ou appartenaient-ils à une loge elle-même reconnue par la Grande Loge ? Il s’agissait essentiellement, et même exclusivement, d’une affaire intérieure à un pays donné.

Lorsque la Grande Loge d’Angleterre établissait des relations avec d’autres Grandes Loges établies dans d‘autres pays, elle ne parlait jamais de « reconnaissance » mais elle échangeait parfois des garants d’amitié : à cela se bornèrent les relations maçonniques internationales jusqu’au cœur du XIXème siècle. Tout au long du XVIIIème siècle un maçon voyageant en Europe exhibait son diplôme ou son « Certificat de Grande Loge «  (Grand Lodge Certificate ) et il était très généralement reçu sans que soit jamais évoqué la question de la « régularité » : il émargeait à une Grande Loge et cela suffisait. Il y avait sans nul doute, à cette époque, un véritable « espace maçonnique européen…

En 1765, la Grande Loge des Modernes conclut un traité avec la première Grande Loge de France. Il y était seulement stipulé qu’aucune ne créerait de loges sur le territoire de l’autre, ce que l’Angleterre s’empressa du reste de ne pas respecter en fondant la loge L’Anglaise de Bordeaux en 1766 ! De même, en 1775, il y eut un projet de traité entre la Grande Loge des Modernes et le jeune Grand Orient de France – héritier institutionnel de la première Grande Loge de France. Or, ce traité ne put aboutir, mais la cause de cet échec est loin d’être philosophique : le Grand Secrétaire d’Angleterre, Heseltine, jugea simplement inadmissible la formulation de l’article 1 du projet soumis par le Grand Orient :

« L’égalité étant la base de notre Ordre, la Grand Orient de France et celui d’Angleterre [sic] traiteront d’égal à égal ».

C’est donc sur un différend de préséance, et non sur une querelle « doctrinale », qu’échoua le projet. Il faut pourtant souligner au passage, comme l’a noté malicieusement mon aimable contradicteur Alain Bernheim[4]– qui demeure un grand chercheur lorsqu’il n’épanche pas sa bile –, qu’en 1814, un an après la création de la Grande Loge Unie, celle-ci comptait 647 loges tandis le Grand Orient de France en affichait 886 : « l’égalité » penchait pour le moins du côté de la France…

Il n’empêche que sous le Premier Empire, alors que guerre faisait rage entre les deux pays, des officiers français, prisonniers sur les pontons anglais et désireux de se constituer « régulièrement » en loge, tous membres du Grand Orient de France, sollicitèrent et obtinrent des autorités maçonniques une surprenante patente dont les premières lignes en disent long sur les conceptions maçonniques de leur temps :

« Au Nom et sous les Auspices du Grand Orient de France,

Et sous la protection immédiate de Sa Seigneurie, le Très Puissant, Très Illustre et Respectable Frère Lord Moira, Grand Maître en exercice de tous les Loges Régulières de Grande-Bretagne [….] »[5]

C’est ainsi que l’Angleterre n’eut jamais de relations officielles avec le Grand Orient de France car telle n’était pas alors la coutume, ce qui n’empêchait nullement, de part et d’autre, de « reconnaitre » pleinement la qualité maçonnique « régulière » des uns et des autres. Autant dire, pour évoquer l’événement qui est dans tous les esprits – le fameux Convent de 1877–, qu’à cette occasion la Grande Loge d’Angleterre ne résolut donc jamais de rompre des relations qui n’avaient jamais été officiellement sanctionnées par aucun traité !

Un réexamen soigneux de cette affaire est ici nécessaire pour comprendre la situation contemporaine.

Le tournant de 1878

Il n’est pas question de revenir sur les antécédents de la décision de 1877, cela relève d’une autre étude. Toutefois, il faut souligner qu’à la fin du XIXème siècle, les informations circulant plus vite et plus largement qu’au XVIIIème, la France et l’Angleterre étaient en outre engagées dans une politique européenne des nationalités qui les séparaient à nouveau sur bien des points, une initiative de cette nature ne pouvait demeurer sans réponse de Londres. Après l’embellie du Second Empire, les relations franco-anglaises se tendirent de nouveau pendant le dernier quart du siècle, tension qui culminera avec la crise de Fachoda (1898) qui faillit entrainer une guerre.

En outre, l’évolution politique et religieuse des deux pays avait été sans commune mesure d’une rive de la Manche à l’autre : l’Angleterre victorienne, au faîte de sa puissance et de sa gloire, avait pétrifié son image, sa structure sociale et son idéologie autour de trois piliers institutionnels ; 1. la monarchie – le 27 avril 1876, Victoria était devenue Impératrice des Indes et régnait désormais sur un domaine « où le soleil ne se couchait jamais » ; 2. l’Eglise d’Angleterre  – en 1867, la première Conférence de Lambeth avait, à l’initiative de l’archevêque de Cantorbéry commencé à fédérer toutes les églises anglicanes dont les principes recteurs seront formellement fixés dans un texte (le Quadrilatère de Chicago-Lambeth) entre 1886 et 1888, donnant une charpente doctrinale définitive à la Communion anglicane dans le monde ; 3. enfin la Grande Loge Unie d’Angleterre – dont les principaux dignitaires se recrutaient dans les deux institutions précédentes.

Lorsque le Grand Orient – concurrent historique en termes d’influence en Europe – tourna le dos à la croyance obligatoire en Dieu, introduite en 1849 seulement dans sa Constitution, l’Angleterre ne put que réagir, et pour la première fois de son histoire, sur ce point de doctrine.

Mais contrairement à ce qui est souvent rapporté, elle ne rompit pas des relations qui, nous l’avons vu, n’avaient jamais existé. Elle chercha une solution pragmatique à un problème pratique : quelle attitude adopter à l’égard de maçons français, membres de Grand Orient de France, qui se présenteraient en visiteur dans une loge anglaise ? Gageons, du reste, que ce problème était assez théorique et que le cas devait se présenter rarement !

La solution adoptée fut simple et elle est riche d’enseignements bien qu’on n’en parle jamais. Le 16 mars 1878, après plusieurs mois de réflexion, la Grande Loge Unie adopta la résolution suivante :

« La Grande Loge Unie d’Angleterre, toujours désireuse de recevoir, dans l’esprit le plus fraternel, tous les Frères appartenant à toutes les Grandes Loges étrangères dont les travaux sont conduits selon les anciens Landmarks de l’Ordre, dont le premier et le plus important est la croyance au Grand Architecte de l’Univers, ne peut reconnaître (cannot recognise) comme vrais et véritables Frères ceux qui auront été initiés dans des Loges qui nient ou ignorent cette croyance. »[6]

Plus précisément encore, il fut arrêté qu’on ne recevrait un visiteur dans une Loge de la Grande Loge Unie que si ce dernier, à défaut de produire un certificat de sa Grande Loge conforme à cette exigence (c’est-à-dire faisant mention explicitement du GADLU), pouvait confirmer par serment sur la Bible sa croyance personnelle en un Être Suprême [7]: à la régularité obédientielle on substituait, en quelque sorte, une régularité personnelle. C’était aussi la première fois que le terme « reconnaissance » (recognition) était appliqué à d’autres Grandes Loges et aux relations internationales, il faut le souligner : il n’en avait jamais été question auparavant. Ce système survécut, pour la France surtout qui avait justifié cette décision, jusqu’en 1913, date de création de la première obédience « régulière » – parce que reconnue comme telle – en France.

Les Basic Principles de 1929

 

«  Le Très Respectable Grand Maître ayant exprimé le désir que le Bureau établisse une déclaration des Principes de Base sur lesquels cette Grande Loge puisse être invitée à reconnaître toute Grande Loge qui demanderait à être reconnue par la Juridiction Anglaise, le Bureau des Propositions Générales a obéi avec joie. Le résultat, comme suit, a été approuvé par le Grand Maître, et formera la base d'un questionnaire qui sera retourné à l'avenir à chaque Juridiction qui demandera la reconnaissance Anglaise. Le Bureau souhaite que non seulement ces obédiences, mais plus généralement l'ensemble de tous les Frères de la Juridiction du Grand Maître, soient entièrement informés de ces Principes de Base de la Franc-maçonnerie auxquels la Grande Loge d'Angleterre s'est tenue tout au long de son histoire.

 

  1. Régularité d'origine ; c'est-à-dire que chaque Grande Loge doit avoir été établie légalement par une Grande Loge dûment reconnue ou par trois Loges ou plus régulièrement constitués.
  2. Que la croyance en le Grand Architecte de l'Univers et en Sa volonté révélée soient une condition essentielle de l'admission des membres.
  3. Que tous les initiés prennent leurs Obligations sur, ou en pleine vue, du Volume de la Loi Sacrée ouvert, de manière à symboliser la révélation d'en haut qui lie la conscience de l'individu particulier qui est initié.
  4. Que les membres de la Grande Loge et des Loges individuelles soient exclusivement des hommes, et qu'aucune Grande Loge ne doit avoir quelque relation maçonnique que ce soit avec des Loges mixtes ou des obédiences qui acceptent des femmes parmi leurs membres.
  5. Que la Grande Loge aient un juridiction souveraine sur les Loges qui sont sous son contrôle; c'est-à-dire qu'elle soit une organisation responsable, indépendante, et gouvernée par elle-même, disposant de l'autorité unique et indiscutée sur les Degrés du Métier ou Symboliques (Apprenti, Compagnon et Maître) au sein de sa juridiction; et qu'elle ne dépende ni ne partage en aucune manière son autorité avec un Suprême Conseil ou un autre Pouvoir qui revendiquerait quelque contrôle ou supervision que ce soit sur ces degrés.
  6. Que les trois Grandes Lumières de la Franc-maçonnerie (à savoir le Volume de la Loi Sacrée, l'Equerre et le Compas) soient toujours exposées quand la Grande Loge ou ses Loges subordonnées sont au travail, la première d'entre elles étant le Volume de la Loi Sacrée.
  7. Que la discussion de sujets politiques ou religieux soit strictement interdite au sein de la Loge.
  8. Que les principes des Anciens Landmarks, des coutumes et des usages de la Fraternité soient strictement observés. »

 

L’énoncé des règles de reconnaissance, laquelle renferme de façon ambiguë la notion de régularité (puisque celle-ci est la condition sine qua non, nécessaire mais pas suffisante, de la reconnaissance : s'y ajoutent des considérations à la fois administratives et géopolitiques), ne survint donc que très tardivement – soit très récemment, en 1929 : ce fut l’équivalent, pour la Grande Loge, du Quadrilatère de Lambeth pour l’Église d’Angleterre…

Cette époque n’est du reste pas quelconque dans l’histoire de l’Empire britannique. Elle correspond au début du basculement, de l’émiettement – puis, à peine quinze ans plus tard, de l’explosion – de cet Empire que Londres tentera de récupérer sous la forme de Commonwealth. De même que le gouvernement de Sa Majesté s’efforçait de trouver les moyens de conserver son influence future sur des pays qu’attirait le « Grand Large » et le goût de l’indépendance, de même les autorités maçonniques anglaises, qui avaient constitué des loges et des districts directement rattachés à Londres partout dans l’Empire, recherchèrent le moyen de formuler les règles qui permettraient à ces loges – et aux futures Grandes Loges indépendantes qui allaient inévitablement en naître – de maintenir un lien avec la « Grande Loge Mère » (Mother Grand Lodge). En échange de l’acceptation par elles de ce statut d’honneur pour la Grande Loge Unie d’Angleterre, ces nouvelles Grandes Loge seraient « reconnues ».

L’application de ces règles ne posa aucune difficulté pour les Grandes Loges issues de l’ancien « système unique » de la Grande Loge anglaise à travers le monde : élevées dans les principes anglais, partageant largement sa culture, les nouvelles puissances maçonniques (comme l’Inde par exemple) ne virent aucune difficulté dans l’énoncé de ces règles qui, pour elles, allaient pratiquement de soi.

Le problème vint plutôt de la nécessité, qui apparut rapidement, de les étendre à des Grandes Loges indépendantes depuis toujours mais qui recherchèrent avec plus ou moins d’avidité – souvent pour obtenir un supplément de légitimité – la reconnaissance de Londres. La Grande Loge Unie ne se fit guère prier pour entrer dans ce jeu : elle avait trouvé le moyen d’étendre et même d’institutionnaliser son privilège d’honneur dans la communauté maçonnique internationale – cela même que le Grand Orient de France, pour des raisons sans rapport avec un quelconque débat métaphysique, lui avait refusé dès 1775 ! C’est pourtant ici que le choc des cultures commença à se manifester.

Il serait trop long de reprendre ici la liste des incidents qui, surtout après la dernière guerre, ont émaillé le monde de la régularité anglo-saxonne. Si de nombreuses Grandes Loges furent reconnues, d’autres fut « déreconnues » pour des raisons au reste peu nombreuses qui tinrent presque toujours à la question du Volume de la Loi Sacrée (Volume of the Sacred Law) et l’affirmation de la foi en Dieu, Grand Architecte de l’Univers – comme en Belgique encore en 1979, ce qui a conduit  la déreconnaissance de la Grande Loge de Belgique et la création subséquente de la Grande Loge régulière de Belgique, laquelle n’a depuis lors jamais plus varié sur sa doctrine. La question des intervisites « irrégulières » (les autres critères n’ayant pas été remis en cause) a également joué dans ces incidents avec la GLUA, mais moins qu’on ne le croit : la Grande Loge suisse Alpina fut inquiétée et les relations avec Londres suspendues pour 12 à 15 mois, en 1965 puis en 1971, pour cette raison. Alpina donna à chaque fois l’assurance que cela ne se renouvellerait plus (?) et la reconnaissance fut rétablie ! La GLUA, qui rectifia sa position en quelques mois dans les deux cas, nota à cette occasion que plusieurs Grandes Loges régulières européennes ne l’avaient pas suivie dans son action de déreconnaissance initiale : on voit bien que certains principes semblent donc plus fondamentaux que d’autres…

L’examen soigneux des Principes de 1929 montre du reste que quelque points ce texte sont très liés à la culture maçonnique anglaise et ne peuvent, en toute rigueur, être appliqués qu’à des traditions maçonniques qui s’y rattachent directement.

 

Les Trois Grandes Lumières :

inconnues sous cette forme en France pendant tout le XVIIIème siècle...

 

Prenons un simple exemple, certes un peu technique et qui passe souvent inaperçu mais qui est en soit très révélateur. Le point numéro 3 de 1929 exige que les « Trois Grandes Lumières de la Franc-Maçonnerie » (le Compas, l’Equerre et le V.S.L.) soient exposées et servent de support au serment. Or, il s’agit-là, rappelons-le, d’une disposition propre à la tradition des Antients, celle qui, pour l’essentiel, a triomphé lors de l’Union de 1813. Pour toutes les traditions maçonniques qui se rattachent aux Moderns– les plus anciens, on s’en souvent ! – les « Trois Grandes Lumières » existent (les trois « objets » sont présents), mais pas sous ce nom ni selon cet arrangement. Tout au long du XVIIIème siècle en Angleterre chez Modernes comme partout en France, et en France tout au long du XIXème siècle, sur la Bible – ou l’Evangile – c’était l’épée du Vénérable qu’on posait, et rien d’autre. Dans le Rite Français (du moins dans sa forme « traditionnelle » d’origine), le Compas est sur le plateau du Vénérable et l’Équerre sur le coussin qui sert au serment. Dans le Rite Écossais Rectifié – une Rite de type « Moderne » – le Compas et l’Équerre sont constamment entrecroisés et placés sur le plateau du Vénérable mais à distance de la Bible sur laquelle on ne trouve, là encore, que l’épée.

En somme, pour remplir à la lettre toutes les exigences des Basic Principles, il faut être anglais ou pratiquer…le Rite anglais ![8] Ici comme ailleurs, des « accommodements raisonnables » et une certaine marge d’interprétation sont donc nécessaires, et les Anglais l’ont tacitement admis.

La situation contemporaine

Le système anglo-saxon de la régularité a subi quelques assauts au cours des années récentes.

Le premier, dont on parle peu alors qu’il est très significatif, concerne le « principe de juridiction territoriale exclusive », qui stipule qu’il ne peut y avoir qu’une seule Grande Loge régulière par pays. On doit observer qu’il ne figure absolument pas dans les Basic Principles. Il s’agit d’une pratique héritée de l’usage américain qui imposa, au cours du XIXème siècle, pour des raisons de paix civile au sein d’une jeune nation, qu’il n’y ait qu’une seule Grande Loge pour chacun des États de l’Union. Il faut cependant constater que peu à peu, tacitement en tout cas, l’Angleterre a appliqué ce principe.

La situation moralement insupportable créée par la dualité des Grandes Loges « causasiennes » - c’est-à-dire « blanches » – et des Grandes Loges de Prince Hall – c'est-à-dire « noires » –  aux États-Unis, a cependant obligé l’Angleterre à ne plus se retrancher derrière ce principe et à reconnaître finalement, dans le courant des années 1990, deux Grandes Loges par État aux USA! Il faut également mentionner le cas spécial de l’Allemagne qui, après la guerre, a rassemblé les morceaux épars d’une histoire maçonnique agitée pour former la confédération des Grandes Loges Unies d’Allemagne, toutes réunies sous un chapeau théorique, seul reconnu par Londres.

Le système de la régularité internationale n’est donc pas un monolithe, c’est au contraire un univers contradictoire ou des obédiences connues et non reconnues par Londres se côtoient dans un espace théoriquement commun. Bien des combinaisons sont donc possibles, du moins théoriquement et jusqu’à un certain point : il y a des bornes (landmarks) à ne pas franchir.

Il reste en effet que, aux yeux des Anglais, seule la reconnaissance par Londres est la « vraie » régularité mais c’est généralement le terme d’un long processus. Or sur ce point la GLUA n’a jamais, jusqu’ici, souffert le moindre compromis sur les principes. En cela, n’en déplaise notamment à Monsieur Bernheim qui veut semer la confusion dans les esprits et qui prend en l’occurrence ses désirs pour des réalités, je constate une fois de plus et je réaffirme cette évidence qu’il n’y a pas de régularité (au sens anglo-saxon du terme, le seul qui intéresse tout le monde) sans sa reconnaissance explicite ! Si tout le monde, comme c'est devenu un jeu en France, est régulier dans son coin, reconnu par soi-même, alors le mot "régulier" n'a plus aucun sens - ce que je ne suis pas éloigné de penser, du reste...

Presque tous les cas de « déreconnaissance », on l’a déjà dit, ont été liés au non respect par une Grande Loge de la clause concernant la croyance en un Etre Suprême. Les spéculations de certains sur les prétendues différences qui existent entre la version de 1929 des Basic Principles et la rédaction « moderne » de 1989 ne doivent pas induire en erreur : cette dernière fut un projet jamais adopté et qui ne figure nulle part dans les documents officiels actuels de la GLUA, et notamment pas dans son Book of Constitutions ! Les déclarations récentes du Député Grand Maître, évoquées plus haut, sont parfaitement claires :

« La croyance en un Être Suprême est une exigence absolue pour tous ses membres »

La doctrine anglaise n’a donc pas changé et ne changera pas de si tôt. Il s’agit là d’une donnée essentielle de la culture anglaise où l’appartenance religieuse est en partie constitutive de l’identité sociale.[9]

Plus récemment, l’accent a été également porté sur interdiction, d’ailleurs ancienne, des intervisites avec les obédiences irrégulières – c’est-à-dire non reconnues, car une obédience « régulière et non reconnue », objet bizarre, est traitée par les Britanniques exactement comme une obédience irrégulière, cela va de soi. Il est certain que si l’on peut éventuelle mentir – à soi-même ou aux autres – à propos du Grand Architecte de l’Univers, il est plus difficile de jouer avec les intervisites. Les embarras de vocabulaire de certains responsables maçonniques français, au cours des derniers mois, l’ont tristement illustré. Il regrettable que dans cette affaire qui a défrayé la chronique maçonnique française depuis deux ans, et créé bien du désordre, mais qui semble parvenir à son terme prévu, on ait feint de croire que cette règle était devenue obsolète ou qu’il y avait « avec le ciel des accommodements ». Il n’en est rien. Les Grandes Loges régulières ne se font pas fait faute de le rappeler avec la plus grande clarté à qui veut les entendre – mais quand on ne veut pas entendre...

Toute la question est plutôt de savoir si les Anglo-saxons vont finir par comprendre que ce qui vaut pour eux et chez eux doit être adapté pour s’harmoniser avec une culture continentale européenne sensiblement différente de la leur.

Ne jugeons donc pas trop hâtivement mais cherchons nous-mêmes à comprendre et prenons en compte des éléments qui n’appartiennent pas forcément à notre propre culture. Aux postures commodes, tentons de substituer une approche ouverte et compréhensive. Elle passe notamment par une meilleure connaissance de l’histoire des uns et des autres.

Produit d’une histoire complexe et mouvementée, la franc-maçonnerie européenne s’est composée plusieurs visages en bientôt trois siècles. Tous proviennent cependant d’une source commune dans laquelle on peut se reconnaître ou dont on peut, au contraire, se distancier, mais qu’en aucun cas on ne doit ignorer si on veut comprendre en profondeur une institution parfois aussi mystérieuse pour ses adeptes qu’elle l’est aux yeux du grand public.

Au tournant de son histoire marquée par un passé glorieux, confrontée aujourd’hui à un certain déclin en Angleterre comme aux États-Unis, la franc-maçonnerie s’interroge elle-même sur son avenir et sur l’opportunité de réexaminer ses fondements et peut-être une partie de ses pratiques. Si un plus grand nombre de francs-maçons français, se montrant moins bardés de certitudes, faisaient de leur côté un peu de ce chemin, ce qui est vu parfois comme un conflit déchirant de la maçonnerie mondiale apparaitrait peut-être pour ce qu’il est vraiment : un malentendu qu’un nouveau « tunnel sous la Manche » – intellectuel cette fois – pourrait sans doute aplanir.



[1] Epître dédicatoire, p. v.

[2] Jonathan Spence – Discours du Député Grand Maître, 14 septembre 2011 (Site de l’UGLE).

[3]The New Book of Constitutions, 1738, p. 196.

[4]Une certaine idée de la franc-maçonnerie, Paris, 2008, pp. 46-47.

[5] J.H. Thorp, French Prisoners Lodges, Leicester, 1900, p. 88.

[6]Gould’s History of Fremasonry, Londres, 1886-1888, III, p.26.

[7] M. Brodsky, The Regular Freemason, a short history of masonic regularity, AQC 106 (1993), 112.

[8] Les rituels du REAA pour les grades bleus, seulement rédigés en 1804 (Guide des Maçons Ecossais), satisfont exactement ces critères car ils reposent précisément, pour l’essentiel, mais avec d’importantes modifications, sur une traduction du rituel des Antients, précisément…

[9] Du reste, les mésaventures de la Grande Loge de France devant la Commission de reconnaissance des Grandes Loges des USA, en 2003, ont porté sur le même point et montrent que les maçons américains, quoi que certains d’entre eux laissent entendre parfois, sont sur la même ligne que les Anglais en ce domaine.

Lexique des symboles maçonniques : le "Que sais-je ?"...

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Je vous signale le dernier-né dont je viens d'accoucher en compagnie d'Alain Bauer :

 

 

Lexique des symboles.jpg

 

 

En primeur, je vous livre ici l’introduction du livre:

 

 

Introduction

 

D’où viennent les symboles maçonniques ?

« Ici, tout est symbole… » Telle est l’une des formules les plus souvent entendues dans les loges maçonniques. Autant dire que rien, ou presque, n’est insignifiant dans la décoration, l’agencement, la disposition d’une loge maçonnique, tout comme dans les décors dont se revêtent les francs-maçons ou les termes utilisés dans les rituels. Ainsi la franc-maçonnerie offre à des adeptes un univers de signes matériels ou sonores, de figures, d’objets ou de mots, qui sont tous dotés d’un sens moral ou spirituel.

Il convient ici de dissiper une erreur commune : il y aurait des symboles spécifiques, particuliers au monde des loges et produits exclusivement à l’usage des francs-maçons. En réalité, rien n’est plus faux. La plupart des symboles dits « maçonniques » – sinon presque tous – proviennent de sources diverses, souvent fort anciennes dans la culture occidentale, et surtout étrangères au monde des guildes ouvrières et des corporations artisanales.

Au-delà d’un prétendu « enseignement secret » des bâtisseurs, il faut donc rappeler qu’il y a eu, tout au long du Moyen Age, une théologie symbolique gravée dans la pierre de presque tous les édifices religieux car il existait alors une grille d’interprétation de l’Écriture sainte : la pensée typologique, laquelle n’était, dans son principe, que l’application du symbolisme à l’histoire. Cette pensée a laissé en héritage, comme l’ont montré depuis longtemps les toujours passionnantes études d’Émile Mâle,[1] une véritable Bible de pierre dont les innombrables figures sculptées, en un temps où presque personne ne savait lire, répondaient à des normes précises laissant peu de place à la fantaisie des artistes et reposaient sur une analyse à la fois pénétrante, fidèle et didactique de la doctrine chrétienne dont les églises, et plus encore les cathédrales, devaient être des livres ouverts. Dans ce maquis de symboles les triangles, par exemple, abondaient pour renvoyer à la Trinité, tandis que parmi les attributs traditionnels des saints, permettant de les identifier à coup sûr, on pouvait notamment reconnaitre fréquemment l’équerre (Jacques le Mineur, Matthieu, Thomas l’Apôtre, Joseph le Charpentier).

Une autre étape remarquable dans son développement est incontestablement la pensée de la Renaissance. Celle-ci a clairement attribué à l'architecture une signification nouvelle et contribué à faire émerger un type intellectuel nouveau, celui de « l'Architecte ». Reprenant la tradition vitruvienne, remontant au Ier siècle de notre ère, qui avait déjà fait de l'architecte un homme au savoir universel et aux talents multiples, les auteurs les plus influents de la Renaissance ajouteront à ce portrait idéal leur touche finale, tel le célèbre architecte français Philibert de L'Orme. D'autres, comme Serlio, apporteront même des indications plus précises, en décrivant dans leurs ouvrages ce que l'on doit considérer comme une interprétation symbolique des Ordres de l'architecture.

La mutation intellectuelle de la Renaissance, dans le domaine de l'architecture, présente un intérêt qui dépasse singulièrement, on le voit, le seul domaine de l'histoire de l'art et des techniques. Il est troublant de repérer ainsi les éléments d'un discours spéculatif reposant sur l'architecture, tant la similitude est grande avec ce qui sera plus tard, vers la fin du XVIIe siècle, la méthode symbolique de la franc-maçonnerie spéculative.

Le climat intellectuel de la Renaissance fut donc incontestablement le creuset au sein duquel, en dehors, soulignons-le encore, de toute connexion directe avec le métier de maçon, s'élabora une pensée fondée sur les correspondances analogiques dans le domaine moral ou spirituel. On ne peut ici que citer, en insistant sur l'intérêt majeur de cette mention, l'abondante littérature des emblemata, ces planches énigmatiques, dépourvues de commentaire, qui remplirent de très nombreux ouvrages tout au long du XVIe siècle, et encore au XVIIe siècle. L'exercice proposé ici, d'une méditation, d'une intériorisation d'un message crypté – où, au hasard des vignettes, on trouve de nombreux « futurs symboles maçonniques » (compas, équerre, fil à plomb) –, est à n'en pas douter une autre préfiguration surprenante de la méthode intellectuelle qu'adoptera la première maçonnerie spéculative.

Dans le même ordre d'esprit, on doit rappeler l'importance, soulignée par les beaux travaux dus à F. Yates, de « l'art de la mémoire », cette méthode héritée de l'Antiquité, redécouverte au Moyen Age et permettant aux orateurs d'imprimer dans leur esprit les méandres de leurs discours en les identifiant mentalement aux pièces d'une demeure idéale qu'ils parcouraient en esprit tout en parlant. Les cercles intellectuels de la Renaissance adopteront à leur tour cette méthode, mais pour en retenir l'idée que la visualisation d'un espace, d'un édifice pouvait-être le moyen d'un voyage proprement intellectuel.

S’il n’est finalement pas original dans sa composition, le répertoire symbolique de la franc-maçonnerie ne s’est pas non plus fixé en un jour : il a fait l’objet d’apports successifs et pas nécessairement concertés, d’où l’extraordinaire variété et le caractère redondant ou, à l’inverse, hétérogène et parfois contradictoire des symboles mis en œuvre, à travers la diversité des Rites et des traditions propres à chaque pays.

Si l’on s’en rapporte aux plus anciens rituels maçonniques connus (Écosse, fin XVIIe siècle), on y constate la relative pauvreté du matériel symbolique. Celui-ci consiste essentiellement en quelques pierres et quelques outils dont plusieurs ont du reste disparu par la suite du décor maçonnique. Mais les « grands symboles » que sont, par exemple, le triangle, le compas, l’équerre, sont en revanche clairement absents.

Les symboles et objets propres au Temple de Salomon (autel des parfums, chandelier à sept branches, arche d’alliance), ne pénètreront pas dans les rituels maçonniques avant les années 1740 au plus tôt, avec les premiers hauts grades établis peu à peu vers 1730. Quant aux symboles hermétiques et alchimiques, ils sont bien plus tardifs et ne feront leur apparition et surtout entre 1750 et 1760. Par contraste, dans ces mêmes grades, les références à l’univers purement maçonnique et opératif iront en se raréfiant.Il aura donc fallu, selon le point de départ que l’on adopte, entre trente et cinquante ans, dans la première moitié du XVIIIème siècle, pour constituer l’ensemble stable des symboles de la franc-maçonnerie.

Les principaux symboles maçonniques

On trouve dans l’univers maçonnique des symboles de divers ordres :

a) des objets directement liés à la pratique du métier de maçon : maillet, ciseau, niveau, perpendiculaire, truelle;

b) des matériaux de l’art de bâtir : pierre brute, pierre cubique ;

c) des éléments de l’architecture : plans, ordres d’architecture, arcs et voûtes de différentes sortes ;

d) des instruments de mathématiques – en l’occurrence de géométrie – qui ne  sont pas l’apanage des bâtisseurs, comme l’équerre et le compas ;

e) des symboles astronomiques : soleil, lune, étoiles :

f) des symboles alchimiques : sel, mercure, soufre ;

g) des symboles universels (généralement des figures géométriques simples ayant reçu des significations religieuses dans différentes traditions): point, croix, cercle, triangle ;

h) des lettres initiales qui deviennent des symboles : iod hébreu (comme initiale du           Tétragramme, voire ce dernier lui-même en entier), lettre G (initiale de « Géométrie » mais aussi de « God » en anglais) ;

i) des éléments empruntés à la Bible, notamment au Temple de Salomon : les colonnes J et B,     le pavé « mosaïque », le chandelier à sept branches (mais aussi à trois, cinq ou neuf), voire l’Arche d’Alliance – et même la Tour de Babel !

j) des symboles qui par leur nom, sinon leur forme, sont propres à la franc-maçonnerie : la houppe dentelée, la pierre cubique à pointe – ce sont du reste les moins nombreux.

On doit naturellement rapprocher des symboles ce que les francs-maçons appellent leurs « décors ». Il faut entendre par là non seulement les éléments à l’aide desquels ils agencent leurs lieux de réunions pour leur conférer un sens symbolique, précisément, mais surtout les pièces de vêtements spécifiques qu’ils arborent et indiquent leurs fonctions, leurs grades, leurs dignités : colliers, sautoirs, écharpes, cordons – souvent assortis de bijoux également symboliques –, gants et couvre-chefs , sans oublier le poignard ou l’épée avec son indispensable ceinturon et enfin les tabliers de toutes formes, de toutes tailles et de toutes couleurs (avec souvent quelques franges) – lesquelles sont à leur tour des symboles en soi : blanc, bleu, rouge, vert, noir (le jaune, l’orange, le marron ou le violet se voient plus rarement dans les décors maçonniques) – et s’ornent eux-mêmes d’innombrables figures et dessins.

Enfin, l’univers sonore n’échappe pas à cet usage symbolique : coups frappés du maillet, batteries données avec les mains, mots prononcés, devises proclamées, sont autant de symboles entendus et non plus seulement contemplés.

Cet environnement symbolique est consubstantiel à la franc-maçonnerie et, sans lui, elle perdrait toute sa spécificité si ce n’est tout son sens et le principe même de son existence. Plus précisément, dépourvue de ses symboles et du dynamisme qu’elle en tire, la franc-maçonnerie ne serait plus, selon les endroits et les époques, qu’une simple association d’entraide mutuelle, un cercle philosophique, une communauté fraternelle, voire un « club-service », un lobby politique ou un réseau d’influence. Il lui est du reste arrivé d’être aussi un peu tout cela, ensemble ou séparément.

Ce qui importe, c’est de comprendre que les francs-maçons ont toujours placé le maniement des symboles au cœur de leur institution – ce que souvent, en France, ils appellent justement « la méthode symbolique ». Or, si tous – ou presque – sont à peu près d’accord sur l’importance de cet outil, il n’est pas du tout certain qu’ils l’envisagent tous de la même manière et qu’ils en fassent les mêmes applications.

Le symbolisme maçonnique, ou ce que l’on nomme ainsi, pour peu qu’on l’envisage de façon quelque peu distanciée, parait recouvrir de nombreuses ambiguïtés.

La pensée symbolique de la franc-maçonnerie

Selon un auteur profondément révéré par les francs-maçons anglais, William Preston (1742-1818), qui contribua dans le dernier quart du XVIIIe siècle, notamment à travers son maître ouvrage Illustrations of Masonry, à la fixation des rituels et des instructions encore en vigueur de nos jours dans les loges britanniques, la franc-maçonnerie est « un système particulier de morale, exprimé sous le voile des allégories et illustré par des symboles. » A l’époque de Preston, tout au long du XIXe siècle et jusqu’à nous, la franc-maçonnerie britannique n’a cessé de voir dans les symboles maçonniques de simples emblèmes rappelant sur un mode graphique les enseignements fondamentaux de la morale judéo-chrétienne dont les bases se trouvent dans les Écritures saintes, lesquelles, toujours pour citer les rituels anglais, sont le « critère infaillible de la justice et de la vérité ».

A la fin du XIXe siècle, en France singulièrement, dans la mouvance du courant occultiste initié par Eliphas Lévi (alias Alphonse Louis Constant, 1810-1875) et qui va flirter avec les marges de la franc-maçonnerie, elle-même majoritairement positiviste à cette époque, un courant herméneutique bien particulier va peu à peu prendre de l’ampleur et finira par occuper, au décours des années 1950, une place incontournable dans la pensée maçonnique en général. Ce mouvement a incontestablement été lancé par Oswald Wirth (1860-1943), un élève de l’ésotériste et quelque peu sulfureux Stanislas de Guaïta (1861-1897), initié au Grand Orient avant de rejoindre la Grande Loge Symbolique Ecossaise puis la Grande Loge de France. En publiant dès la fin des années 1890, en volumes successifs maintes fois réédités et toujours lus, sa célébrissime série, La franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes(I. L’Apprenti, II. Le Compagnon, III. Le Maître) puis Les mystères de l’art royal, très tôt traduits en plusieurs langues (mais pas en anglais), Wirth assurera pendant plus de quarante ans un véritable magistère des études de symbolique maçonnique à la direction de sa revue justement nommée Le Symbolisme (fondée en 1912) qui vivra après lui, jusqu’en 1970.

A travers ses ouvrages, rédigés dans une langue classique et limpide, véritables « bréviaires maçonniques » selon les termes mêmes de leur auteur, Wirth imposera sa vision résumée en quelques formules lapidaires :

La science profane s’enseigne à l’aide de mots, alors que le savoir initiatique ne peut s’acquérir qu’à la lumière de symboles. C’est en lui-même que l’Initié puise sa connaissance (gnosis en grec), en discernant de subtiles allusions, il lui faut deviner ce qui se cache dans les profondeurs de son esprit. […]

Mis en présence d’un signe muet, l’adepte est tenu de le faire parler : penser par soi-même est le grand art des Initiés.  (Les mystères de l’art royal).

De rébus moralisateur, le symbole maçonnique est ainsi devenu le support d’un véritable exercice spirituel aux connotations plus ou moins illuministes ou mystiques. Notons cependant ici, sans y insister davantage pour l’instant, les non-dits de cette approche « symboliste ». Renvoyant à des questionnements métaphysiques bien plus que simplement moraux, à la différence du symbolisme finalement assez simple de la tradition anglaise, ce symbolisme maçonnique français s’en distingue aussi par sa réticence extrême à évoquer toute référence trop directement religieuse.

Le symbolisme maçonnique dans sa conception française, est donc d’apparition assez tardive dans l’histoire de la franc-maçonnerie – même s’il trouve quelques racines dans certains Rites minoritaires de la fin du XVIIIe siècle. Le mot « symbolisme », en contexte maçonnique, s’est ainsi  trouvé plongé dans un certain flou sémantique, au point qu’il est devenu, dans la bouche de certains de ses défenseurs et de ses contempteurs au sein des loges, comme un équivalent euphémique de spiritualisme, voire de déisme : on est un « maçon symboliste » et tout est dit. De la simple désignation d’une méthode, on est bel et bien passé, à pas feutrés et sans jamais le dire tout à fait, à l’affirmation d’une position intellectuelle et presque d’un choix métaphysique – ce qui est assurément très différent.

Même dans ce cas, pourtant, et selon une acception également très commune dans les milieux maçonniques français, le caractère « symbolique » renvoie cependant toujours au libre jeu de l’imagination et de la conscience, sans référence obligatoire à quelque affirmation « dogmatique » que ce soit.

Cet entre-deux typiquement français montre à quel point le contexte culturel peut influencer la réception et le traitement d’un corpus de symboles dont la morphologie générale est pourtant partout la même.     

L’objet du présent lexique, qui n’est en rien un « manuel de symbolisme » comme il en existe tant dans la littérature maçonnique courante, est de proposer une approche critique et distanciée des symboles en usage dans la franc-maçonnerie, empruntant davantage à l’histoire culturelle qu’à une herméneutique aventureuse.

 

Table des matières

Liste des symboles


Abeille – Acacia – Accolade – Ad Majorem Dei Gloriam (Pour la plus grande gloire de Dieu) – Agapes – Âge symbolique – Agenouilloir – Agneau triomphant – Aigle – Air – Alchimie – Alliance – Alphabet maçonnique – Ancre – Anneau – Arc, Arche – Arc-en-ciel – Arche d’Alliance – Arche de Noé – Attouchements – Babel (Tour de) – Bague – Baiser fraternel – Balance – Balustre – Bandeau (Épreuve sous le) – Bannière – Banquet – Batterie – Baudrier – Beauté – Bible – Bijou – Bijoux (mobiles et immobiles) – Blé – Bleues (Loges) – Boaz, Booz – Bon Pasteur (Signe du) – Bouclier – Cabinet de réflexion – Câble de hâlage – Calendrier maçonnique – Calice (ou Coupe) – Canon – Carré long – Centre – Cercle – Chaîne d’union – Chaînes – Chambre du Milieu – Chandeliers – Chapeau – Charité – Charte – Chrisme – Cinq – Ciseau – Clé – Clé d’arc – Cœur – Collier – Colonne brisée – Colonnes – Compas – Composite – Coq – Corde – Cordon – Corinthien – Corne d’abondance – Couleurs symboliques – Coupe (d’amertume) – Crâne – Crayon – Croix – Crypte – Décors – Delta lumineux – Deus Meumque Jus (Dieu et mon Droit) – Dévidoir – Diplôme – Dorique – Dormant – Douze – Drap mortuaire – Eau – Écharpe – Échelle – Égalité – Éléments – Epée – Équerre – Escalier en forme de vis – Espérance – Étendard – Étoile de David – Étoile Flamboyante – Faux – Feu – Fil à plomb – Flambeaux – Fleurs – Foi – Force – Fraternité – Gants – Grand Architecte de l’Univers (GADL’U) – Glaive – Hache – Hexagramme – Houppe dentelée – Huile d’onction – INRI – Ionique – Jakhin – Jeton – Justice – Lacs d’amour – Légende d’Hiram – Lettre G – Levier – Lewis, Lowton – Liberté – Lion – Loge – Louve, Louveteau – Lumière – Lumières (Trois Grandes) – Luminaires – Lune – Lys – Maillet – Manteau – Marches – Marianne – Marque – Mercure – Métaux – Meubles (de la loge) – Miroir – Morceau d’architecture – Mots – Neuf – Niveau – Nombres – Obligation – Ordres d’architecture – Orient – Ornements (de la loge) – Pain – Patente – Pavé mosaïque – Pélican – Pentagramme – Perit ut vivat (il meurt afin de vivre) – Perpendiculaire – Phénix (voir Perit ut vivat) – Pierres – Parole perdue – Piliers (Trois Grands) – Planche – Planche à tracer – Poignard – Pot de Manne – Prudence – Quinze – Règle – Robe – Rose – Ruche – Sablier – Sagesse – Sautoir – Sceau de Salomon – Secret – Sel – Sept – Serment – Signes – Soleil – Soufre – Squelette – Tablier – Tapis (ou Tableau) de Loge – Tau – Tempérance – Temple (de Jérusalem) – Terre – Toscan – Triangle – Triple devise – Trois – Tronc de la Veuve – Truelle – Vitriol – Vertus – Vin – Virolet – Voile(s) – Volume de la Loi sacrée – Voûte – Voyages.


[1]Cf. notamment L'art religieux au XIIIe siècle, Etude sur les origines de l'iconographie du Moyen Ageet sur ses sources d'inspiration, Paris, 1948 (nombreuses rééditions).

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